Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/497

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Mais, quoi ! Si votre mère permet notre correspondance, à condition que nos lettres lui soient communiquées ; et si c’est le seul moyen de la satisfaire, est-il impossible de se soumettre à cette loi ? Croyez-vous, ma chère, qu’elle fît difficulté de recevoir cette communication en confidence ? Si je voyais quelque apparence de réconciliation avec ma famille, je n’écouterais point assez mon orgueil, pour appréhender qu’on ne sache de quelle manière j’ai été jouée. Au contraire, dans cette heureuse supposition, je n’aurais pas plutôt quitté M Lovelace, que j’apprendrais toute mon histoire à votre mère et à tous mes amis. Mon propre honneur et leur satisfaction m’y porteraient également. Mais, si je n’ai pas cette espérance, à quoi servirait de faire connaître la répugnance que j’ai eue à suivre M Lovelace, et les artifices par lesquels il a su m’effrayer ? Votre mère vous a fait entendre que mes amis insisteraient sur un retour pur et simple, sans aucune condition, pour disposer arbitrairement de moi. Si je paroissais balancer là-dessus, mon frère s’en ferait un sujet de triomphe, plutôt que de garder mon secret. M Lovelace, dont la fierté s’offense déjà du regret que j’ai de l’avoir suivi, lorsqu’il pense qu’autrement je n’aurais pu éviter d’être à M Solmes, me traiterait peut-être avec indignité. Réduite ainsi à manquer d’asile et de protection, je deviendrais l’objet des railleries publiques, et je jetterais plus de honte que jamais sur mon sexe, puisque l’amour, suivi du mariage, sera toujours excusé plus facilement que des fautes préméditées. En supposant que votre mère consente à recevoir nos communications en confidence, ne balancez point à lui faire lire toutes mes lettres. Si ma conduite passée ne mérite pas absolument sa haine et son mépris, j’y gagnerai peut-être le secours de ses conseils, avec celui des vôtres ; et, si dans la suite je me rends volontairement coupable, je reconnaîtrai que je suis pour jamais indigne et des vôtres et des siens. Quand vous craignez de l’appesantissement pour mon esprit et pour ma plume, s’il faut que toutes mes lettres passent sous les yeux de votre mère, vous oubliez, ma chère, que l’un et l’autre sont déjà fort appesantis ; et vous jugez trop mal de votre mère, si vous la croyez capable de partialité dans ses interprétations. Nous ne saurions douter, ni vous, ni moi, que, livrée à elle-même, son inclination ne se fût déclarée en ma faveur. J’ai la même opinion de mon oncle Antonin. Ma charité s’étend encore plus loin ; car je suis quelquefois portée à croire que, si mon frère et ma sœur étoient absolument certains de m’avoir assez ruinée dans l’esprit de mes oncles, pour n’avoir plus rien à redouter sur l’article de l’intérêt, ils pourraient, sinon désirer ma réconciliation, du moins ne pas s’opposer à ma grâce ; sur-tout si je voulais leur faire quelques petits sacrifices, pour lesquels je vous assure que je n’aurais pas d’éloignement, si j’étais tout-à-fait libre, et dans l’indépendance que je désire. Vous savez que je n’ai jamais attaché de prix aux acquisitions mondaines, et au legs de mon grand-père, qu’autant que ces avantages me mettaient en état de suivre une partie de mes inclinations. Si l’on m’en ôtoit le pouvoir, il faudrait vaincre mon penchant, comme je le fais aujourd’hui. Mais, pour revenir à mon premier sujet, essayez, ma chère amie, si votre mère veut permettre notre correspondance en voyant toutes nos lettres. Si vous ne l’y trouvez pas disposée, à cette condition même, quelle sordide amitié serait la mienne, de vouloir acheter ma satisfaction aux dépens de votre devoir ?