Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/501

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le dirai-je ? Je crois que c’est assez d’honneur pour lui, d’être nommé si souvent dans nos lettres. La confiance que nous continuerons de lui accorder suffira pour le faire marcher la tête plus haute, en étendant sa main blanche, et faisant briller son beau diamant. Il ne manquera pas de faire valoir ses services, et la gloire qu’il y attache, et sa diligence, et sa fidélité, et ses inventions pour garder notre secret, et ses excuses, et ses évasions avec ma mère, lorsqu’elle le presse de parler ; avec cinquante et , qu’il aura l’art de coudre ensemble. Ne sera-ce pas, d’ailleurs, un prétexte pour faire sa cour plus assiduement que jamais à la charmante fille de la bonne

Madame Howe ? Mais l’admettre dans mon cabinet, tête-à-tête avec moi, aussi souvent que je souhaiterais de vous écrire, moi, seulement pour dicter à sa plume ; ma mère supposant, dans l’intervalle, que je commence à prendre sérieusement de l’amour pour lui ! Le rendre maître de mes sentimens, et comme de mon cœur, lorsque je vous écrirais ! En vérité, ma chère, il n’en sera rien. Quand je serais mariée au premier homme d’Angleterre, je ne lui ferais pas l’honneur de lui accorder la communication de mes correspondances. Non, non, c’est assez pour un Hickman de pouvoir se glorifier de la qualité de notre agent, et de voir son nom sur l’adresse de nos lettres. N’ayez point d’embarras ; tout modeste que vous le croyez, il saura tirer parti de cette faveur. Vous me blâmez sans cesse de manquer de générosité pour lui, et d’abuser du pouvoir. Mais je vous proteste, ma chère, que je ne puis faire autrement. De grâce, permettez que j’étende un peu mes plumes, et que je me fasse quelquefois redouter. C’est mon tems, voyez-vous ? Car il ne serait pas plus honorable pour moi que pour lui, de prendre ces airs-là quand je serai sa femme. Il ressent une joie, lorsqu’il me voit contente de lui, qu’il n’aurait pas si mon mécontentement ne lui causait du chagrin. Savez-vous à quoi je serais exposée si je ne le faisais pas quelquefois trembler ? Il s’efforcerait lui-même de se faire craindre. Tous les animaux de la création sont plus ou moins entre eux dans l’état d’hostilité. Le loup qui prend la fuite devant un lion, dévorera un mouton le moment d’après. Je me souviens d’avoir été un jour si piquée contre un poulet qui en béquetait continuellement un autre (un pauvre petit agneau, comme je me l’imaginais) que dans un mouvement d’humanité, je fis prendre l’offenseur, et je lui fis tordre le cou. Qu’arriva-t-il après cette exécution ? L’autre devint insolent, aussi-tôt qu’il se vit délivré de son persécuteur, et je le vis béqueter, à son tour, un ou deux autres poulets plus foibles que lui. Ils méritaient tous d’être étranglés, m’écriai-je ; ou plutôt, j’aurais aussi bien fait de pardonner au premier ; car je vois que c’est la nature de l’espèce. Pardonnez mes extravagances. Si j’étais avec vous, je vous arracherais quelquefois un sourire, comme il m’est arrivé cent fois au milieu de vos airs les plus graves. Ah ! Que n’avez-vous accepté l’offre que je vous faisais de vous accompagner ? Mais vous êtes révoltée contre tout ce que je puis vous offrir. Prenez-y garde. Vous me fâcherez contre vous ; et lorsque je suis fâchée, vous savez que je ne ménage personne. Il m’est aussi impossible de n’être pas un peu impertinente, que de cesser d’être votre tendre et fidèle amie.

Anne Howe.