Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/502

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Miss Clarisse Harlove à Miss Howe.

vendredi, 21 avril. Monsieur Lovelace m’a communiqué ce matin la nouvelle du projet de mon frère, qu’il a reçu de son agent. Je lui sais bon gré de ne me l’avoir pas trop fait valoir, et de la traiter au contraire avec mépris. Au fond, si vous ne m’en aviez pas déjà touché quelque chose, j’aurais pu la regarder comme une nouvelle invention pour me faire hâter mon départ, d’autant plus que lui-même, il souhaite depuis long-temps d’être à Londres. Il m’a lu cet article de la lettre, qui s’accorde assez avec ce que vous m’avez écrit sur le témoignage de Miss Loyd. Il ajoute seulement que celui qui se charge d’une si violente entreprise, est un capitaine de vaisseau, nommé Singleton. J’ai vu cet homme-là. Il est venu deux fois au château d’Harlove en qualité d’ami de mon frère. Il a l’air intrépide : et je m’imagine que le projet vient de lui ; car mon frère parle sans doute à tout le monde de ma téméraire démarche. Après m’avoir si peu épargnée dans d’autres tems, il n’est pas capable de négliger aujourd’hui l’occasion. Ce Singleton demeure à Leith. Ainsi leur dessein, apparemment, est de me conduire à la terre de mon frère, qui n’est pas éloignée de ce port. En rapprochant toutes ces circonstances, je commence à craindre sérieusement que leur systême, tout méprisable qu’il paraît à M Lovelace, ne puisse être tenté ; et je tremble des suites. Je lui ai demandé, le voyant si ouvert et si froid, ce qu’il avait à me conseiller là-dessus. Vous demanderai-je, mademoiselle, quelles sont vos propres idées ? Ce qui me porte, m’a-t-il dit, à vous faire la même question, c’est que vous avez paru désirer si ardemment que je vous quitte en arrivant à Londres, que, dans la crainte de vous déplaire, je ne sais que vous proposer. Mon sentiment, lui ai-je répondu, est que je dois me dérober à la connaissance de tout le monde, à l’exception de Miss Howe, et que vous devez vous éloigner de moi, parce qu’on conclura infailliblement que l’un n’est pas loin de l’autre, et qu’il est plus aisé de suivre vos traces que les miennes. Vous ne souhaitez pas assurément, m’a-t-il dit, de tomber entre les mains de votre frère, par des voies aussi violentes que celles dont vous êtes menacée. Je ne me propose pas de me jeter officieusement dans leur chemin ; mais, s’ils avoient raison de se figurer que je les évite, leurs recherches n’en deviendraient-elles pas plus ardentes ? Et leur courage s’animant pour vous enlever, ne serais-je pas exposé à des insultes dont un homme d’honneur n’est pas capable de supporter l’idée ? Grand dieu ! Me suis-je écriée, quelles suites fatales du malheur que j’ai eu de me laisser tromper ! Très-chère Clarisse ! A-t-il repris affectueusement, ne me désespérez point par un langage si dur, lorsque ce nouveau projet vous fait voir combien ils étoient déterminés à l’exécution du premier. Ai-je bravé les loix de la société, comme ce frère y paraît résolu, du moins, s’il y a quelque chose de