Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/508

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fille est toute puissante ! Ce n’est pas elle, à ce compte, c’est moi qui dois succomber dans la grande épreuve ! Avois-tu jamais entendu dire qu’on eût prononcé des sermens solennels, par une impulsion involontaire, en dépit d’une résolution préméditée et des plus orgueilleux systêmes ? Mais cette charmante créature est capable de faire renoncer un barbare à toute intention de lui nuire ou de lui déplaire : et je crois véritablement que je serais disposé à lui épargner toute nouvelle épreuve (on ne peut pas dire même qu’il y en ait eu jusqu’à présent), s’il n’était question d’une sorte de contention que sa vigilance a fait naître entre nous, et qui consiste à savoir lequel des deux vaincra l’autre. Tu sais quelle est ma générosité quand on ne me dispute rien. Fort bien ; mais à quoi m’a conduit mon aveugle impulsion ? Ne t’imaginerais-tu pas que j’ai été pris au mot ? Une offre prononcée si solennellement, et même à genoux, Belford ! Rien moins. La petite badine m’a laissé échapper avec toute la facilité que j’aurais pu désirer. Le projet de son frère, le désespoir d’une réconciliation, la crainte des malheureux accidens qui peuvent arriver, ont été les causes auxquelles il lui a plu d’attribuer sa confusion ; sans que mon offre ni l’amour y aient eu la moindre part. Qu’en dis-tu ? Regarder notre mariage comme sa seconde ressource ; et me dire, du moins en équivalent, que sa confusion est venue de la crainte que mes ennemis n’acceptent pas l’offre qu’elle veut leur faire, de renoncer à un homme qui a risqué sa vie pour elle, et qui est prêt encore à s’exposer au même danger. J’ai recommencé à la presser de me rendre heureux : mais elle m’a remis après l’arrivée de son cousin Morden. C’est en lui qu’elle met à présent toutes ses espérances. J’ai paru furieux, mais inutilement. On devait écrire, ou l’on avait écrit, une seconde lettre à la tante Hervey ; et l’on se promettait une réponse. Cependant, cher ami, je crois que les délais auraient pu diminuer par degrés, si j’avais été homme de courage. Mais que faire avec tant de peur d’offenser ?… le diable n’est pas pire. Un galant si timide ! Une princesse qui exige des soins si réguliers ! Comment s’accorder jamais ensemble ; sur-tout sans le secours d’une obligeante médiation ? Il est rare néanmoins, diable ! Belford, il est rare qu’un amour si ardent se trouve dans le même cœur avec tant de résignation. Le véritable amour, j’en suis convaincu à présent, se borne aux désirs. Il n’a point d’autre volonté que celle de l’adorable objet. La charmante personne ! Revenir encore d’elle-même à me parler de Londres ! Si, par hasard, le complot de Singleton avait été de mon invention, je n’aurais pu souhaiter de plus heureux expédient pour hâter son départ. Elle l’avait différé, je ne saurais deviner pourquoi. Tu trouveras sous cette enveloppe la lettre de Joseph Léman, dont je t’ai parlé dans la mienne de lundi dernier, et ma profonde réponse à cette lettre. Je ne puis résister à la vanité qui m’excite à ces communications. Sans une raison si forte, il serait peut-être mieux de te laisser penser que l’étoile de la belle combat contre elle, et dispose des occasions à mon avantage ; quoiqu’elles soient l’unique effet de mon invention supérieure.