Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/51

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tout, madame. Hélas ! Monsieur, rien ne serait bien, si je ne le faisais moi-même. Ce sont des éloges d’eux-mêmes ! Des exclamations sur les domestiques ! Et des hélas continuels, et des regards, et des expressions si tendres ! Quelquefois, le ton de leur entretien s’abaisse jusqu’à ne pouvoir être entendu, lorsque je viens les troubler. Je vous déclare, ma chère, que je n’approuve tout cela qu’à demi. Si je ne savais que l’usage de ces vieux garçons est de prendre autant de temps pour se résoudre au mariage qu’ils peuvent espérer raisonnablement d’en avoir à vivre, je ferais du vacarme sur ces visites, et je recommanderais M. Hickman à ma mère, comme un homme qui lui convient beaucoup mieux. Ce qui lui manque du côté de l’âge est compensé par sa gravité. Et, si vous voulez ne me pas gronder, je vous dirai qu’il y a un air de minauderie entr’eux, sur-tout lorsque cet homme s’est un peu émancipé avec moi, par le fond qu’il fait sur la faveur de ma mère, et que je le tiens en bride à cette occasion, qui me fait trouver beaucoup de ressemblance dans leur caractère. Alors tombant comme dans l’admiration de mon arrogance et de ce qu’ils en ont tous deux à souffrir, ils se mettent à soupirer ; et leur compassion paroît si vive l’un pour l’autre, que, si la pitié est une préparation à l’amour, je ne suis pas fort en danger, tandis qu’ils y sont extrêmement, sans le savoir.

à présent, ma chère, n’allez-vous pas tomber sur moi avec vos airs graves ? Qu’y faire ? Mais ce dernier trait a plus de rapport à vous que vous ne pensez. Prenez garde à ce qui se passe autour de vous ; c’est une secousse que j’ai voulu vous donner, pour me faire un mérite de vous avoir avertie d’avance. Annibal, ai-je lu quelque part, attaquait toujours les romains sur leurs propres terres.

Vous avez bien voulu me dire, et même en vérité , que " vos attentions , (joli mot et bien expressif pour celui d'affections ) ne sont pas aussi engagées pour une autre personne, que quelques-uns de vos amis le supposent". Qu’était-il besoin, ma chère, de me donner à penser que le mois passé, ou les deux derniers, ont été un temps extrêmement favorable pour cette autre personne, en mettant la nièce dans le cas de lui avoir quelque obligation pour sa patience à l’égard des oncles ?

Mais passons là-dessus. Aussi engagées ! Combien donc, ma chère ? Suis-je en droit de demander. quelques-uns de vos amis supposent qu’elles le sont beaucoup. vous avouez, ce me semble, qu’elles le sont un peu. Ne vous fâchez point. Vous ne risquez rien avec moi. Mais ce peu , pourquoi me l’avoir voulu déguiser ? Je vous ai entendu dire qu’en affectant du secret, on excite toujours de la curiosité.

Vous continuez néanmoins, avec une espèce de retractation, comme s’il vous était survenu quelque doute en y pensant : vous-même, vous ne savez pas si elles le sont ; autant qu’on le suppose, voulez-vous dire ? Quelle nécessité de me tenir ce langage, à moi ? Et d’y joindre même, en vérité ?

mais vous en savez plus que vous ne dites. Ou plutôt, je m’imagine en effet que vous ne le savez pas ; car les commencemens de l’amour sont l’ouvrage d’un esprit subtil, et se découvrent souvent aux yeux d’un spectateur, tandis que la personne possédée (ce mot me plaît assez) ignore elle-même quel démon l’agite.

Mais vous ajoutez que " si vous aviez effectivement quelque préférence pour lui, il la devrait moins à des considérations personnelles, qu’au traitement qu’il a reçu et qu’il a souffert par rapport à vous".