Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/516

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Adieu, ma très-chère amie. Recevez mes tendres embrassemens, dont l’ardeur n’a rien d’égal que celle des vœux que je fais continuellement pour votre bonheur et votre repos. Anne Howe.



M Belford à M Lovelace.

vendredi, 21 avril. Depuis long-temps, Lovelace, tu fais le rôle d’écrivain, et je me réduis à celui de ton humble lecteur. Je ne me suis pas embarrassé de te communiquer mes remarques sur les progrès et le but de tes belles inventions. Avec tous tes airs, j’ai cru que le mérite incomparable de la belle Clarisse ferait toujours sa défense et sa sûreté. Mais aujourd’hui que je te vois assez heureux dans tes artifices, pour l’avoir engagée à faire le voyage de Londres, et pour avoir fait tomber son choix sur une maison dont les habitans ne réussiront que trop à te faire étouffer tous les mouvemens honorables qui peuvent te naître en sa faveur, je me crois obligé de prendre la plume ; et je te déclare que je me fais ouvertement l’avocat de Clarisse Harlove. Mes motifs ne sont pas tirés de la vertu. Quand ils viendraient de-là, quelle impression feraient-ils sur ton cœur à ce titre ? Un homme tel que toi ne serait pas touché, quand je lui représenterais à quelle vengeance il s’expose, en outrageant une fille du caractère, de la naissance et de la fortune de Clarisse. La générosité et l’honneur n’ont pas plus de force, en faveur d’une femme, sur des gens de notre espèce, qui regardent tous les individus de ce sexe comme un butin de bonne prise. L’ honneur , dans nos idées, et l’ honneur , suivant l’acception générale, sont deux choses qui ne se ressemblent pas. Quel est donc mon motif ? En vérité, Lovelace, c’est la véritable amitié que j’ai pour toi. Elle me porte à plaider pour toi-même, à plaider pour ta famille, dans l’opinion que j’ai de la justice que tu dois à cette incomparable créature, qui mérite d’ailleurs que son intérêt tienne le premier rang parmi ces considérations. Dans la dernière visite que j’ai rendue à ton oncle, ce bon seigneur me pressa fort instamment d’employer tout le crédit que j’ai auprès de toi, pour t’engager à courber les épaules sous le joug du mariage, et m’apporta des raisons de famille auxquelles je trouvai tant de force, que je ne pus me défendre de les approuver. Je savais que tes intentions, pour cette fille extraordinaire, étoient alors dignes d’elle. J’en assurai Milord M qui s’en défiait beaucoup, parce que la famille en usoit mal avec toi. Mais aujourd’hui que ton intrigue a pris une autre face, je veux te presser par d’autres considérations. Si je juge des perfections de ta Clarisse par le témoignage public, comme par le tien, où trouveras-tu jamais une femme qui lui ressemble ? Pourquoi tenterais-tu sa vertu ? Quel besoin d’épreuve, lorsque tu n’as aucune raison de doute ? Je me suppose à ta place, avec le dessein de me marier : si j’avais pour une femme les sentimens de préférence que tu as pour celle-ci, connaissant ce sexe comme nous le connaissons tous