Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/521

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craintes. Votre père, pauvre homme ! Votre père fut près d’une heure sans pouvoir revenir à lui-même. Jusqu’aujourd’hui, à peine peut-il entendre prononcer votre nom. Cependant il n’a que vous dans l’esprit. Votre mérite, ma chère, ne sert qu’à rendre votre faute plus noire. Chaque jour, chaque heure du jour nous apporte quelque nouvelle aggravation. Comment pourriez-vous vous promettre quelque faveur ? J’en suis affligée ; mais je crains que tout ce que vous demandez ne vous soit refusé. Pourquoi parlez-vous, ma chère, de vous épargner des mortifications, vous qui avez pris la fuite avec un homme ? Quel pitoyable orgueil, d’avoir quelque délicatesse de reste ! Je n’ai pas la hardiesse d’ouvrir la bouche en votre faveur. Personne ne l’ose plus que moi. Votre lettre se présentera seule. Je l’ai envoyée au château d’Harlove. Attendez-vous à de grandes rigueurs. Puissiez-vous soutenir heureusement le parti que vous avez embrassé ! ô ma chère ! Que vous avez fait de malheureux ! Quel bonheur pouvez-vous espérer vous-même ? Votre père souhaiterait que vous ne fussiez jamais née. Votre pauvre mère… mais pourquoi vous donnerais-je des sujets d’affliction ? Il n’y a plus de remède. Vous devez être effectivement bien changée, si vos propres réflexions ne font pas votre malheur . Tirez le meilleur parti que vous pourrez de votre situation. Mais quoi ? Pas encore mariée, si je ne me trompe ! Vous êtes libre, dites-vous, d’exécuter tout ce que vous voudrez entreprendre. Il se peut que vous vous trompiez vous-même. Vous espérez que votre réputation et votre faveur auprès de vos amis pourront se rétablir. Jamais, jamais l’une et l’autre, si je juge bien des apparences ; et peut-être nulle des deux. Tous vos amis, ajoutez-vous, " doivent se joindre à vous

pour obtenir votre réconciliation " : tous vos amis ! C’est-à-dire tous ceux que vous avez offensés ; et comment voulez-vous qu’ils s’accordent dans une si mauvaise cause ? Vous dites " qu’il serait bien affligeant pour vous, d’ être précipitée dans des mesures qui pourraient rendre votre réconciliation plus difficile ". Est-il tems, ma chère, de craindre les précipitations ou les précipices ? Ce n’est point à présent qu’il faut penser à la réconciliation, quand vous pourriez jamais vous en flatter. Il est question de voir d’abord la hauteur du précipice où vous êtes tombée. Il peut encore arriver, si je suis bien instruite, qu’il y ait du sang répandu. L’homme qui est avec vous est-il disposé à vous quitter volontairement ? S’il ne l’est pas, qui peut répondre des suites ? S’il l’est effectivement, bon dieu ! Que faudra-t-il penser des raisons qui l’y feront consentir ? J’écarte cette idée. Je connais votre vertu. Mais n’est-il pas vrai, ma chère, que vous êtes sans protection, et que vous n’êtes pas mariée ? N’est-il pas vrai qu’au mépris de votre prière de chaque jour, vous vous êtes jetée vous-même dans la tentation ? Et votre homme n’est-il pas le plus méchant de tous les séducteurs ? Jusqu’à présent, dites-vous (et vous le dites, ma chère, d’un air qui me paraît convenir assez mal à vos sentimens de pénitence), vous n’avez point à vous plaindre d’un homme dont on appréhendait toutes sortes de maux. Mais le péril est-il passé ? Je prie le ciel que vous puissiez vous louer de sa conduite jusqu’au dernier moment de votre liaison. Puisse-