Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/538

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puis à présent, comme je te l’ai fait entendre, parler d’amour et de mariage, sans craindre aucune censure, sans être borné par des restrictions ; et de rigoureuses loix ne font plus ma terreur. C’est dans cette douce familiarité que nous partirons pour Londres. La fille aînée de Madame Sorlings accompagnera ma belle dans la chaise, et je les escorterai à cheval. On craint extrêmement le complot de Singleton. On m’a fait promettre une patience d’ange, s’il arrive quelque chose sur la route. Mais je suis certain qu’il n’arrivera rien. Une lettre, que j’ai reçue aujourd’hui de Joseph, m’assure que James Harlove a déjà quitté son stupide projet, à la prière de tous ses amis, qui en redoutent les suites. Cependant, c’est une affaire à laquelle je ne renonce pas de même ; quoique l’usage que j’en puis faire ne soit pas encore décidé dans ma tête. Ma charmante m’apprend qu’on lui promet ses habits. Elle espère qu’on y joindra ses pierreries, et quelque argent qu’elle a laissé derrière elle. Mais Joseph m’écrit que ses habits seuls lui seront envoyés. Je me garde bien de l’en avertir. Au contraire, je lui répète souvent qu’elle ne doit pas douter qu’on ne lui envoie tout ce qu’elle a demandé de personnel. Plus son attente sera trompée de ce côté-là, plus il faut qu’elle tombe dans ma dépendance. Mais, après tout, j’espère trouver la force d’être honnête pour une fille d’un mérite si distingué. Que le diable t’emporte, avec l’idée que tu es venu m’inspirer mal-à-propos, qu’elle pourrait bien succomber. Je t’entends. Si mon dessein, diras-tu, est d’être honnête, pourquoi ne pas renoncer à l’affaire de Singleton, comme son frère ? S’il faut te répondre, c’est qu’un homme modeste, qui se défie toujours de ses forces, doit se réserver une porte pour fuir. Ajoute, si tu veux, que, lorsqu’on s’est rempli d’un dessein qu’on se trouve forcé d’abandonner par quelque bonne raison, il est bien difficile de n’y pas revenir aussi-tôt que l’obstacle cesse.



M Lovelace à M Belford.

mardi, 25 avril. Tout est en mouvement pour notre départ. D’où viennent les battemens de cœur que j’éprouve ? Quel pressentiment m’agite ? Je suis résolu d’être honnête ; et cette idée augmente l’étonnement que me causent des agitations si peu volontaires. Mon cœur est un traître. Il a toujours été tel, et je crains qu’il ne le soit toujours. C’est une joie si vive, lorsqu’il touche au succès de quelque malice ! J’ai si peu d’empire sur lui ! Ma tête, d’ailleurs, est si naturellement tournée à favoriser ses inclinations ! N’importe. Je veux soutenir un assaut contre toi, vieil ami ; et si tu es le plus fort dans cette occasion, je ne te disputerai jamais rien. La chère personne ne cesse point d’être extrêmement foible et abattue. Tendre fleur ! Qu’elle est peu propre à résister aux vents impétueux des passions, et aux emportemens de l’orgueil et de l’insolence ! à couvert jusqu’à présent sous les aîles d’une famille dont elle n’avait reçu que des témoignages de tendresse et d’indulgence, ou plutôt des adorations ; accoutumée à reposer sa tête sur le sein de sa mère !