Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/64

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crains pas de le dire ; car il n’était pas né pour les immenses richesses qu’il possède : et croyez-vous que je ne fusse pas aussi coupable de les accepter, qu’il l’est de me les offrir, si je pouvais gagner sur moi de les partager avec lui, ou si l’attente d’une reversion encore plus criminelle était capable d’influer sur mon choix ? Soyez persuadée que ce n’est pas un médiocre sujet d’affliction pour moi, que mes amis aient pu trouver dans leurs principes, de quoi justifier des offres de cette nature.

Mais c’est la seule méthode qu’on croie capable de rebuter M Lovelace et de répondre à toutes les vues qu’on a sur chacun de nous. On est persuadé que je ne tiendrai pas contre les avantages qui doivent revenir à la famille, de mon mariage avec M Solmes, depuis qu’on a découvert à présent de la possibilité (qu’un esprit aussi avide que celui de mon frère change aisément en probabilité) à faire revenir la terre de mon grand-père, avec des biens plus considérables encore du côté de cet homme là. On insiste sur divers exemples de ces reversions dans des cas beaucoup plus éloignés ; et ma sœur cite le vieux proverbe, qu’ il est toujours bon d’avoir quelque rapport à une grosse succession : pendant que Solmes, souriant sans doute en lui-même de ses espérances, tout éloignées qu’elles sont, obtient toute leur assistance par de simples offres, et se promet de joindre à son propre bien celui qui m’attire tant d’envie ; d’autant plus que, par sa situation entre deux de ses terres, il paraît valoir pour lui le double de ce qu’il vaudrait pour un autre. Comptez qu’à ses yeux ce motif a plus de force que le mérite d’une femme.

Il me semble, ma chère, que voilà les principales raisons qui engagent avec tant de chaleur mes parens dans ses intérêts. Permettez ici que je déplore encore une fois les principes de ma famille, qui donnent à toutes ces raisons une force à laquelle il me sera bien difficile de résister.

Mais, de quelque manière que l’affaire puisse tourner entre Solmes et moi, il demeure vrai du moins que mon frère a réussi dans toutes ses vues ; c’est-à-dire, premièrement, qu’il a déterminé mon père à faire sa propre cause de la sienne, et à exiger mon consentement comme un acte de devoir.

Ma mère n’a jamais entrepris de s’opposer à la volonté de mon père, lorsqu’il a déclaré une fois ses résolutions.

Mes oncles, qui sont, vous me permettrez de le dire, de vieux garçons impérieux, absolus, enflés de leurs richesses, quoique d’ailleurs les plus honnêtes gens du monde, portent fort haut l’idée qu’ils ont des devoirs d’un enfant, et de l’obéissance d’une femme. La facilité de ma mère les a confirmés dans la seconde de ces deux idées, et sert à fortifier la première.

Ma tante Hervey, qui n’est pas des plus heureuses dans son mariage, et qui a peut-être quelques petites obligations à la famille, s’est laissée gagner, et n’aura pas la hardiesse d’ouvrir la bouche en ma faveur contre la volonté déterminée de mon père et de mes oncles. Je regarde même son silence et celui de ma mère, sur un point si contraire à leur premier jugement, comme une preuve trop forte que mon père est absolument décidé.

Le traitement qu’on a fait à la digne Madame Norton en est une confirmation fort triste. Connoissez-vous une femme dont la vertu mérite plus de considération ? Ils lui rendent tous cette justice ; mais, comme il lui manque d’être riche, pour donner un juste poids à son opinion sur un