Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/72

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rendre dans son cabinet. Hannah m’a dit en même temps que mon père ne faisait que d’en sortir, avec un visage irrité ; alors j’ai commencé à craindre l’audience autant que je l’avais souhaitée.

Cependant je suis descendue ; mais, ne me défiant que trop du sujet qui me faisait appeler, je ne me suis approchée qu’en tremblant, et le cœur dans une palpitation visible. Ma mère s’est aperçue de mon désordre ; elle a tenu les bras ouverts en s’asseyant. Venez, chère fille, venez m’embrasser, m’a-t-elle dit avec un tendre sourire. Pourquoi ma chère enfant parait-elle si agitée ? Cette douce préparation, jointe à la bonté qu’elle m’avait marquée auparavant, a confirmé mes craintes ; ma mère voulait adoucir l’amertume de ses déclarations. ô ma chère mère ! C’est tout ce que j’ai eu la force de lui dire, et j’ai jeté les bras autour de son cou, en cachant mon visage dans son sein. Ma fille ! Ma fille ! Retenez, m’a-t-elle dit, ce charme que vous avez pour m’attendrir : autrement je n’ose m’exposer avec vous. Mes larmes ruisselaient sur son sein, et je me sentais le cou mouillé des siennes. Quelle tendresse n’a-t-elle pas mis dans ses expressions ? Levez le visage, ma précieuse enfant, mon aimable Clarisse ! ô chère fille, fille de mon cœur, levez ce visage qui aura toujours tant de charmes pour mes yeux. D’où viennent ces sanglots ? Un devoir redouté cause-t-il tant d’émotion, qu’avant que je puisse parler… mais je suis bien aise, mon amour, que vous puissiez deviner ce que j’ai à vous dire : vous m’épargnez la peine de vous faire une ouverture dont je ne me suis pas chargée sans beaucoup de répugnance.

Ensuite s’étant levée, elle a tiré une chaise près de la sienne, et m’y a fait asseoir, abymée comme j’étais dans mes larmes, et dans la crainte de ce que j’allais entendre, autant que dans les sentimens de reconnaissance que je devais à cette bonté maternelle ; mes soupirs étoient mon seul langage. Elle a poussé sa chaise encore plus près de la mienne ; elle a passé le bras autour de mon cou, et serrant mon visage contre le sien, laissez moi parler, chère fille, puisque vous voulez garder le silence ; écoutez-moi. Vous savez, ma fille, ce que j’ai la patience d’endurer tous les jours pour le bien de la paix. Votre père est un homme rempli de bonté, qui n’a que d’excellentes intentions ; mais il ne veut pas être contredit. J’ai cru vous voir quelquefois de la compassion pour moi, lorsque je suis obligée de lui céder sur tout. Ce foible ne lui fait pas une meilleure réputation, et la mienne en augmente : mais, si je pouvais l’empêcher, je ne voudrais pas d’un avantage qui nous coûte si cher à tous deux. Vous êtes une fille respectueuse, sage, prudente, (elle a bien voulu m’attribuer toutes ces qualités, pour m’encourager, sans doute, à les acquérir) vous ne voudriez pas, j’en suis sûre, augmenter mes embarras ; vous ne voudriez pas troubler de plein gré cette paix que votre mère a tant de peine à conserver. L’obéissance vaut mieux que les sacrifices. ô chère Clary ! Répandez la joie dans mon cœur, en me disant que mes craintes ont été trop loin. Je vois combien le vôtre est touché : je vois ses perplexités : je vois qu’il s’y passe de rudes combats, a-t-elle ajouté en retirant le bras, et se levant, pour m’empêcher de voir combien elle était touchée elle-même. Je veux vous laisser un moment : ne me répondez pas (car j’essayais d’ouvrir la bouche, et je n’avais pas plutôt été libre, que je m’étais