Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/75

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raisonnemens ? Vous savez avec qui cette hardiesse vous réussirait mal. Sur quoi est-elle donc fondée avec moi, fille peu généreuse, si ce n’est sur l’opinion que vous avez de mon excessive indulgence ? Hélas ! Que puis-je dire ? Que puis-je faire ? Quelle est ma triste cause, si l’on m’interdit jusqu’au raisonnement ?

Encore ? Clarisse Harlove !

Très-chère madame ! Je vous demande pardon à genoux. J’ai toujours mis mon plaisir et ma gloire à vous obéir. Mais jetez les yeux sur cet homme ; voyez combien toute sa personne est désagréable.

Clary, Clary ! Je vois à présent quel est celui dont la personne vous occupe l’imagination. M Solmes n’est désagréable que par comparaison avec un autre ; désagréable, parce que la personne d’un autre a plus d’agrément.

Mais, madame, ses manières ne le sont-elles pas aussi ? Sa personne n’est-elle pas le vrai miroir de son ame ? Cet autre ne m’est et ne me sera jamais rien. Délivrez-moi seulement de celui-ci, auquel mon cœur répugne de lui-même.

Vous voulez donc imposer des conditions à votre père ? Croyez-vous qu’il le souffre ? Ne vous ai-je pas dit qu’il y va de mon repos ? Que ne fais-je pas en votre faveur ? Cette commission même, dont je ne me suis chargée que parce que j’ai craint que vous ne fussiez pas aisément persuadée par un autre, n’est-elle pas une rude commission pour moi ; et ne ferez-vous rien pour votre mère ? N’avez-vous pas refusé tous ceux qui vous ont été offerts ? Si vous ne voulez pas nous faire deviner d’où vient votre résistance, rendez-vous ; car il faut vous rendre, ou laisser croire que vous bravez toute votre famille.

Là-dessus elle s’est levée, comme dans le dessein de sortir. Mais, s’arrêtant à la porte de ma chambre, elle s’est tournée vers moi. Je me garderai bien de dire dans quelle disposition je vous ai laissée. Faites vos réflexions. C’est une affaire résolue. Si vous faites cas de la bénédiction de votre père et de la mienne, et de la satisfaction de toute la famille, prenez le parti d’obéir. Je vous laisse à vous-même pendant quelques momens. Je reviendrai. Faites que je vous trouve telle que je le désire : et si votre cœur est libre, qu’il soit gouverné par le devoir.

Une demi-heure après, ma mère est revenue. Elle m’a trouvée noyée dans mes larmes. Elle m’a pris la main. Mon rôle, m’a-t-elle dit, est toujours de reconnaître mes torts. Je m’imagine que je me suis exposée mal-à-propos à vos résistances, par la méthode que j’ai employée. Je m’y suis prise d’abord comme si je m’étais attendue à un refus, et je me le suis attiré par mon indulgence.

Ah, ma chère mère ! Ne le dites et ne le pensez pas. Si c’était moi, a-t-elle continué, qui eût donné occasion à ce débat, s’il était en mon pouvoir de vous dispenser de la soumission qu’on demande, vous savez trop ce que vous pourriez obtenir de moi. Qui penserait à se marier, chère Miss Howe, lorsqu’on voit une femme d’un caractère aussi doux que celui de ma mère, dans la nécessité de se perdre, ou de renoncer à tout exercice de ses volontés ?

Lorsque je suis revenue ici la seconde fois, m’a-t-elle dit, j’ai refusé d’écouter vos raisons, parce que je savais que la résistance ne vous servirait de rien. C’est encore une faute que j’ai commise. Une jeune créature qui aime à raisonner, et qui veut être convaincue par le raisonnement, devrait ê