Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/82

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haine ; mais vous ne sauriez croire que je puisse jamais penser à cet homme-là. Elle a pris un visage irrité, comme si mon exclamation eût été fort contraire à son attente. Elle m’a menacée de m’envoyer à mon père et à mes oncles. Elle m’a fait remarquer, je puis dire avec bonté, que, si je supposais à mon frère et à ma sœur des vues qui les portassent à me mettre mal dans l’esprit de mes oncles, je prenais le chemin de les seconder. Elle m’a dit qu’elle n’avait pas attendu si long-temps à représenter tout ce qui pouvait être opposé aux dispositions présentes, parce qu’elle avait prévu qu’ayant refusé plusieurs partis qu’elle trouvait préférables elle-même du côté de la personne, j’aurais peu de penchant pour M Solmes ; que, si ses objections avoient pu prévaloir, je n’en aurais jamais entendu parler : quelle apparence donc que je pusse obtenir ce qui lui avait été refusé ? Que c’était également mon bien (puisqu’il dépendait de me conserver l’affection de tout le monde) et son propre repos, qu’elle se proposait d’assurer dans la commission qu’elle avait acceptée ; que mon père allait s’enflammer de colère en apprenant mon refus ? Que mes deux oncles étoient si convaincus de la sagesse de leurs mesures pour leur projet favori d’agrandir la famille, qu’ils ne paroissaient pas moins déterminés que mon père ; que mon oncle et ma tante Hervey étoient du même sentiment ; qu’au fond il serait bien étrange qu’un père, une mère, des oncles, une tante, réunis dans la même volonté, n’eussent pas le pouvoir de diriger mon choix ; qu’apparemment le grand motif de mon aversion était l’avantage même qui devait revenir à la famille ; qu’elle pouvait m’assurer que personne n’expliquerait autrement mon refus ; que toute l’inclination que je pouvais témoigner pour le célibat, tandis qu’un homme si odieux à tout le monde demeurerait à marier, et tournerait autour de moi (c’est son expression) ne pouvait être d’aucun poids sur personne ; que, M Lovelace fût-il un ange, je devais comprendre que mon père, ayant résolu que je ne l’aurai point, ne souffrira jamais que sa volonté soit disputée, sur-tout dans l’opinion où l’on était que j’entretenais des correspondances avec lui ; enfin que c’était cette persuasion, jointe à celle que Miss Howe favorisait notre commerce, qui m’avait attiré des défenses dont elle voulait bien m’avouer qu’elle avait quelque regret.

J’ai répondu à chaque article avec une force à laquelle je suis sûre qu’elle se serait rendue, si elle avait eu la liberté de suivre son propre jugement. Ensuite je me suis emportée amèrement contre les loix humiliantes qu’on m’a imposées. Ces défenses, m’a-t-elle dit, devaient me faire juger combien la résolution de mon père était sérieuse. Il dépendait de moi de les faire lever, et le mal n’était pas encore sans remède. Mais si mon obstination ne finissait pas, je ne devais m’en prendre qu’à moi-même de tout ce qui pouvait arriver.

J’ai soupiré, j’ai pleuré, j’ai gardé le silence. Irai-je assurer votre père, Clary, que ces défenses sont aussi peu nécessaires que je l’ai cru ; que vous connaissez votre devoir, et que vous ne vous opposerez point à ses volontés ? Qu’en dites-vous, mon amour ?

ô madame ! Que puis-je répondre à des questions qui me font adorer votre indulgence ? Il est bien vrai, madame, que je connais mon devoir. Personne au monde n’a plus d’inclination à le remplir. Mais permettez-