Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/83

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moi de dire que je dois demeurer soumise à ces cruelles défenses, si elles ne peuvent être levées qu’à ce prix.

Ma chère mère m’a donné les noms d’opiniâtre et de perverse. Elle a fait deux ou trois tours dans la chambre, d’un air irrité ; et se tournant vers moi : votre cœur libre ! Clarisse. Comment pouvez-vous prétendre que votre cœur est libre ? Une antipathie si extraordinaire pour une personne, doit venir d’une prévention extraordinaire pour une autre. Répondez-moi, et ne déguisez pas la vérité : continuez-vous d’entretenir quelque correspondance avec M Lovelace ? Très-chère-madame, lui ai-je dit, vous connaissez mes motifs. Pour prévenir de nouveaux malheurs, j’ai répondu à ses lettres. Le temps des craintes n’est point encore passé.

J’avoue, Clary, quoique je ne fusse pas bien aise à présent qu’on le sût, que, dans un autre tems, j’ai cru qu’un peu d’adoucissement étoit convenable entre des esprits de cette violence. Je ne désespérais pas encore d’une sorte d’accommodement, par la médiation de milord M et de ses deux sœurs. Mais comme ils jugent à propos tous trois d’entrer dans les ressentimens de leur neveu ; que leur neveu prend le parti de nous braver tous ; et qu’on nous offre d’un autre côté des conditions que nous n’aurions pas osé demander, qui empêcheront probablement que le bien de votre grand-père ne sorte de la famille, et qui peuvent y en faire entrer encore un plus considérable ; je ne vois pas que la continuation de votre correspondance puisse ou doive être permise : ainsi je vous la défends, autant que vous faites cas de mes bonnes grâces.

De grâce, madame, apprenez-moi seulement comment je puis la rompre, avec sûreté pour mon frère et mes oncles. C’est tout ce que je souhaite au monde. Plût au ciel que l’homme pour lequel on a tant de haine, n’eût pas à faire valoir, pour pretexte, qu’il a été traité avec trop de violence, dans le temps qu’il ne demandait que la paix et la réconciliation ! J’aurais toujours été libre de rompre tout à fait avec lui. Les mauvaises mœurs qu’on lui attribue m’en auraient fourni à tout moment l’occasion. Mais depuis que mes oncles et mon frère ne gardent plus de mesures ; depuis qu’il est informé des vues présentes, et que, si je ne suis pas trompée, il n’y a plus que sa considération pour moi qui l’empêche de se ressentir du traitement qu’il reçoit, lui et sa famille ; que puis-je faire ? Voudriez-vous, madame, le pousser à quelque résolution désespérée ?

Nous aurons la protection des loix, ma fille. La magistrature offensée fera valoir ses propres droits.

Mais, madame ; ne peut-il pas arriver auparavant quelque affreux désastre ? Les loix ne font pas valoir leurs droits, s’ils n’ont été violés. Vous avez fait des offres, Clary, si l’on voulait se relâcher. êtes-vous résolue, de bonne foi, de rompre à cette condition toute correspondance avec M Lovelace ? Expliquez-vous là-dessus. Oui, madame, j’y suis résolue et j’exécuterai cette résolution. Je ferai plus : je vous remettrai toutes les lettres qui ont été écrites de part et d’autre. Vous verrez que je ne lui ai pas donné d’encouragement qui ne soit conforme à mon devoir ; et lorsque vous les aurez lues, il vous sera plus facile de me prescrire, à cette condition, le moyen de rompre entièrement avec lui. Je vous prends au mot, Clarisse. Donnez-moi ses lettres et les copies des vôtres.