Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/84

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Je compte, madame, que vous saurez seule que j’écris, et ce que j’écris.

Point de condition avec votre mère. Assurément on peut se fier à ma prudence.

Après lui avoir demandé pardon, je l’ai priée de prendre elle même la clef d’un tiroir particulier de mon secrétaire, où toutes ces lettres étoient rassemblées, pour s’assurer encore plus que je n’avais rien de réservé pour ma mère. Elle y a consenti. Elle a pris les lettres et les copies des miennes, avec la complaisance de me dire que, puisque je les lui abandonnais sans condition, elle promettait de me les rendre et de ne les communiquer à personne. Elle est sortie pour les lire, dans le dessein de revenir après cette lecture.

Vous avez lu vous-même, ma chère, toutes ces lettres et toutes mes réponses, jusqu’à mon retour de chez vous. Vous êtes convenue qu’elles ne contiennent rien dont il puisse se vanter. J’en ai reçu trois autres depuis, par la voie particulière dont je vous ai informée ; et je n’ai pas encore répondu à la dernière.

Dans ces trois nouvelles lettres, comme dans celles que je vous ai montrées, après avoir exprimé, dans les termes les plus ardens, une passion qu’il prétend sincère, et fait une peinture fort vive des indignités qu’il a essuyées, des bravades que mon frère fait contre lui dans toutes les assemblées, des menaces et de l’air d’hostilité de mes oncles dans tous les lieux où ils paroissent, enfin des méthodes qu’ils emploient pour le diffamer, il déclare " que son honneur et celui de sa famille, qui se trouve mêlé dans les réflexions qu’on fait sur lui à l’occasion d’une malheureuse affaire qu’il n’a pas dépendu de lui d’éviter, ne lui permettent pas de souffrir des indignités qui augmentent de jour en jour ; que mes inclinations, si elles ne lui sont pas favorables, ne pouvant être et n’étant point pour un homme tel que Solmes, il en est plus intéressé à se ressentir de la conduite de mon frère, qui déclare à tout le monde sa haine et sa malice, et qui fait gloire de l’intention qu’il a de le mortifier en soutenant la recherche de ce Solmes ; qu’il lui est impossible de ne pas croire son honneur engagé à rompre des mesures qui n’ont pas d’autre objet que lui, quand il n’y serait pas porté par un motif encore plus puissant ; et que je dois lui pardonner s’il entre là-dessus en conférence avec Solmes. Il insiste avec force sur la proposition qu’il a renouvelée si souvent, que je lui permette de rendre, avec milord M une visite à mes oncles, et même à mon père et à ma mère, promettant de s’armer de patience, s’il ne reçoit pas quelque nouvel outrage que l’honneur ne lui permette pas absolument de supporter " : ce que je suis bien éloignée, pour le dire en passant, de pouvoir lui garantir.

Dans ma réponse, je lui déclare absolument, comme je lui rappelle que je l’ai fait plusieurs fois, " qu’il ne doit attendre aucune faveur de moi sans l’approbation de mes amis ; que je suis sûre qu’il n’obtiendra jamais, d’aucun d’eux, leur consentement pour une visite ; qu’il n’y a point d’homme au monde pour lequel je sois capable de séparer mes intérêts de ceux de ma famille ; que je ne crois pas lui être fort obligée de la modération que je demande entre des esprits trop faciles à s’irriter ; que c’est ne lui demander rien à quoi la prudence, la justice et les loix ne l’obligent, que, s’il fonde là-dessus quelque espérance qui me regarde, il se trompe lui-même ; que mon inclination, comme je l’en ai souvent