Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/92

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choisir, de s’attacher fortement au choix qu’on a fait, et d’abandonner le succès à la providence ?

Voilà ma règle, dans le cas où je suis ; du moins, si vous approuvez mes motifs. Si vous ne les approuvez pas, je vous prie de m’en informer. Vous devez m’aider de vos conseils. Mais de quelles couleurs puis-je revêtir à mes propres yeux tout ce que ma mère est condamnée à souffrir par rapport à moi ? Mais je fais une réflexion qui n’est peut-être pas sans force ; ses peines ne peuvent durer long-temps. De manière ou d’autre, cette grande affaire sera bientôt terminée ; au lieu que, si je prends le parti de céder, une aversion invincible fera le malheur de toute ma vie. J’ajoute qu’avec les raisons que j’ai de croire qu’elle n’est pas entrée par inclination dans les mesures présentes, je puis supposer qu’elle regrettera moins de ne les pas voir réussir.

Ma lettre est fort longue, pour le temps que j’ai mis à l’écrire. Le sujet me touchait jusqu’au vif. Après les réflexions que vous venez de lire, vous attendrez de moi trop de fermeté, peut-être, dans la nouvelle conférence que j’aurai bientôt avec ma mère. Mon père et mon frère dînent chez mon oncle Antonin, dans le dessein apparemment de nous laisser plus de liberté pour cet entretien.

Hannah vient m’apprendre qu’elle a entendu parler mon père avec beaucoup de chaleur, en prenant congé de ma mère. Il lui reprochait, sans doute, de m’être trop favorable ; car elle était toute en pleurs. Hannah n’a pu entendre d’elle que ces quatre mots : en vérité, M Harlove, vous me jetez dans un grand embarras ; la pauvre enfant ne mérite point… mon père a répondu, d’un ton de colère, qu’il ferait mourir quelqu’un de chagrin. Moi, sans doute. Je suppose que cela ne peut regarder ma mère. Hannah n’a rien entendu de plus.

Comme ma sœur est restée seule à dîner avec ma mère, je m’étais figuré que je recevrais ordre de descendre. Mais on s’est contenté de m’envoyer quelques plats de la table. J’ai continué d’écrire, sans avoir pu toucher à rien, et j’ai fait manger Hannah, de peur qu’on ne m’accusât d’obstination. Avant que de finir, il me vient à l’esprit d’aller faire un tour au jardin, pour voir si je ne trouverai rien de l’une ou de l’autre de mes deux correspondances, qui mérite d’être ajouté à cette lettre. Je descends dans cette vue. Je suis arrêtée. Hannah portera ma lettre au dépôt. Elle a rencontré ma mère, qui a demandé où j’étais, et qui lui a donné ordre de me venir dire qu’elle allait monter, pour s’entretenir avec moi dans mon propre cabinet. Je l’entends venir. Adieu, ma chère.


Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

Samedi, après midi.

La conférence est finie, mais je ne vois que de l’augmentation dans mes peines. Ma mère ayant eu la bonté de m’avertir que cet entretien sera le dernier effort pour me persuader, je serai aussi exacte, dans le détail, que ma tête et mon cœur me le permettront.

En entrant dans ma chambre : j’ai fait avancer le dîner, m’a-t-elle