Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/93

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dit, et j’ai dîné fort vite dans la seule vue de conférer avec vous. Et je vous assure que cette conférence sera la dernière qui me sera permise, et que je serai portée moi-même à désirer, si je vous trouve aussi rebelle que plusieurs se l’imaginent. J’espère que vous tromperez leur attente, et que vous ne ferez pas connaître que je n’ai pas sur vous tout le poids que mérite mon indulgence.

Votre père dîne et soupe chez votre oncle, pour nous donner une pleine liberté. Comme je dois lui faire mon rapport, à son retour, et que j’ai promis de le faire très-fidèlement, il prendra, par rapport à vous, les mesures qu’il jugera convenables.

J’allais parler. — Écoutez, Clarisse, ce que j’ai à vous dire, avant que vous ouvriez la bouche pour me répondre ; à moins que vous ne soyez disposée à la soumission… dites, l’êtes-vous ? Si vous l’êtes, vous pouvez vous expliquer.

Je suis demeurée en silence.

Elle m’a regardée d’un air inquiet et douloureux. — Point de soumission, je le vois. Une fille jusqu’à présent si obéissante !… quoi ! Vous ne pouvez, vous ne voulez pas parler comme je vous le dis ? Et me rejetant en quelque sorte de la main : — Eh bien ! Continuez de vous taire. Je ne souffrirai pas plus que votre père une contradiction si déclarée.

Elle s’est arrêtée, avec un regard incertain, comme si elle eût attendu mon consentement.

Je n’ai pas cessé de garder le silence, les yeux baissés et mouillés de larmes.

— Ô fille opiniâtre ! Mais ouvrez la bouche ; parlez ; êtes-vous résolue vous opposer à nous tous, dans un point sur lequel nous sommes tous d’accord ?

— M’est-il permis, madame, de vous adresser mes plaintes ?

Que vous serviront les plaintes, Clarisse ? Votre père est déterminé. Ne vous ai-je pas dit qu’il n’y a point à reculer ? Que l’honneur et l’avantage de la famille y sont également intéressés ? Soyez de bonne foi. Vous l’avez toujours été, même contre vos propres intérêts. Qui doit céder à la fin, ou tout le monde à vous, ou vous à tous autant que nous sommes ? Si votre dessein est de vous rendre lorsque vous aurez reconnu qu’il est impossible de l’emporter, rendez-vous de bonne grâce ; car il faut vous y résoudre, ou renoncer à la qualité de notre enfant.

J’ai pleuré, ne sachant que dire, ou plutôt ne sachant comment je devais exprimer ce que j’avais à dire.

— Apprenez qu’il y a des nullités dans le testament de votre grand-père. Il ne vous reviendra pas un schelling de cette terre, si vous refusez de vous soumettre. Votre grand-père vous l’a laissée, comme une récompense de votre respect pour lui et pour nous. Elle vous sera ôtée avec justice, si…

— Permettez-moi, madame, de vous assurer que, si elle m’a été léguée injustement, je ne souhaite pas de la conserver. Mais on n’a pas manqué, sans doute, d’instruire M. Solmes de ces nullités.

— Voilà, m’a-t-elle dit, une réponse très-impertinente. Mais faites réflexion qu’en perdant cette terre par votre obstination, vous perdez entièrement l’affection de votre père. Alors que deviendrez-vous ? Que vous restera-t-il pour vous soutenir ? Et tous ces beaux systèmes de générosité et de bonnes actions, ne faudra-t-il pas y renoncer ?