Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/400

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avec plus de propreté que de richesse, composent mon appartement. Le second est occupé par une digne veuve, nommée Madame Lovick , qui, sans être bien partagée du côté de la fortune, ne s’attire pas moins de respect, suivant le témoignage de Madame Smith, par sa prudence que par sa piété. Je me propose de lier une étroite connaissance avec elle. Je vous dois, ma chère, les plus tendres remerciemens pour vos sages avis et vos consolations. Ma confiance au secours du ciel me fait espérer qu’il soutiendra mes forces contre cette espèce de désespoir ou d’abattement, dont la religion fait un crime, sur-tout lorsque, pour m’en défendre, je puis penser, comme vous le dites, que mon malheur ne vient ni de ma légèreté, ni d’aucun égarement volontaire. Cependant la disposition implacable de ma famille, que j’aime avec la plus parfaite tendresse ; mes alarmes du côté de ce méchant homme, qui ne me laissera pas sans doute un moment de repos ; la situation où je me trouve réduite à mon âge, sans protection, avec peu de connaissance du monde ; mes réflexions sur le scandale que j’ai causé, jointes au douloureux sentiment des outrages que j’ai reçus d’un homme dont je n’avais pas mérité cet excès de barbarie et d’ingratitude ; toutes ces raisons ensemble produiront infailliblement l’effet auquel je ne puis me défendre d’aspirer, plus lentement peut-être que je ne le desire, parce que la bonté de ma constitution résistera quelque tems malgré moi : heureuse si d’autres principes peuvent m’élever dans l’intervalle au dessus de toutes les considérations mondaines, et m’apprendre à chercher mon bonheur dans une source plus pure ! Actuellement ma tête est dans un extrême désordre ; mes idées n’ont pas encore été bien nettes, depuis la violence que mon esprit et mon cœur ont essuyée par les détestables artifices dont je suis la victime. Cependant il peut me rester d’autres combats à soutenir. Je sens quelquefois que je ne suis point assez soumise à ma condition : le ciel n’a pas achevé son ouvrage, si c’est ma patience qu’il veut éprouver. Je le bénirai de toutes les peines dont sa bonté ne me fera qu’une épreuve : mais comment regarder cette terrible partie de la malédiction de mon père ?… arrêtons : ce mal même, le plus redoutable de tous les maux, ce coup de foudre ne peut-il pas tourner à mon avantage, par les efforts qu’il me fera redoubler pour m’en garantir ? Je n’ajouterai, ma chère, que des remerciemens à votre mère, de l’indulgence qu’elle a pour nous, et des complimens tels que je les dois à M Hickman. Pour vous, qui êtes ma tendre amie, et la plus chère partie de moi-même, (car, hélas ! Quel cas dois-je faire de l’autre ?) croyez-moi jusqu’à ma dernière heure, et même au delà, s’il est possible, votre, etc. Cl Harlove.



M Lovelace, à M Belford.

vendredi, 7 de juillet. J’ai devant moi trois de tes lettres, auxquelles je dois réponse, et dans chacune desquelles tu te plains de mon silence : tu m’assures même dans la dernière que tu ne saurais vivre si je ne t’écris tous les jours, ou du moins de deux jours l’un. Meurs donc, ami Belford ; meurs, si c’est ta résolution. Où veux-tu que je prenne le courage d’écrire, lorsque j’ai perdu le seul sujet qui méritait d’exercer ma plume ? Fais-moi retrouver mon ange, ma divine Clarisse, et la matière ne me manquera pas pour t’écrire à toutes les heures du jour et de la nuit : tout ce qui sortira de sa bouche sera tracé sur le papier : je te décrirai chaque mouvement, chaque attitude de cet objet de mes adorations ; et dans son silence même, je m’efforcerai de t’expliquer ce qu’elle pense ou ce que je souhaiterais qu’elle pensât. Mais depuis que je l’ai perdue, je suis tombé dans un vide affreux ; tout ce qui existe autour de moi, les élémens au milieu desquels je me trouve placé, la nature entière ne m’offre rien dont je puisse jouir. Ah ! Reviens, reviens, divinité de mon ame ; reviens entre les bras de ton