Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/43

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de femme dans le monde qui soit à l’épreuve d’un amant ferme et courageux. Il m’arrive, à ce moment, un messager de la part de mon oncle. J’apprends que son mal a gagné les genoux, et que les chirurgiens lui donnent peu de jours à vivre. Il m’a dépêché aussi-tôt un de ses gens, avec cette fâcheuse déclaration, qu’il m’attend pour lui fermer les yeux. Comme je serai absolument obligé d’envoyer chaque jour à la ville mon valet, ou quelqu’un des siens, pour ses affaires ou pour les miennes, l’un ou l’autre ira régulièrement prendre vos ordres. C’est une charité de m’écrire aussi souvent que vous le pourrez. Quoique je gagne beaucoup à la mort du pauvre homme, je ne saurais dire que ces scènes de mort et de ministre puissent me causer le moindre plaisir : de ministre et de mort , aurais-je dû dire, car c’est l’ordre naturel ; et l’un est ordinairement l’avant-coureur de l’autre. Si je vous trouve de la froideur à m’obliger, je serai porté à croire que ma liberté vous a déplu. Mais je ne vous en avertis pas moins que celui qui n’a pas honte d’un excès, n’a pas droit de se choquer du reproche. Belford.



Miss Clarisse Harlove à Miss Howe.

je vous rends grâce, et à M Hickman, de la lettre qu’il a pris la peine de m’écrire avec une diligence si obligeante ; et je continue de me soumettre à votre chère tyrannie. Il ne cesse de me reprocher un excès de scrupule. Il prétend que je suis toujours fâchée contre lui ; que je ne puis avoir gardé plus de réserve avec M Solmes ; et qu’il ne peut concilier avec ses idées, non plus qu’avec ses espérances, que depuis si long-temps il n’ait pas eu le bonheur d’inspirer le moindre sentiment de tendresse à la personne qu’il se flatte de pouvoir bientôt nommer sa femme. Aveugle présomption ! De ne pas voir à quoi il doit attribuer la réserve avec laquelle je suis obligée de le traiter. Mais son orgueil anéantit sa prudence. Ce ne peut être qu’un bas orgueil qui a pris la place de cette noble fierté qui le mettrait au-dessus de la vanité par laquelle il s’est laissé corrompre. Ne vous souvenez-vous pas de l’avoir vu, pendant les heureux jours que j’ai passés chez vous, regardant autour de lui, lorsqu’il retournait à son carrosse, comme pour observer quels yeux sa figure et son air attirait à sa suite ? Mais nous avons vu de laids et sots petits-maîtres, aussi orgueilleux de leur figure, que s’ils avoient toutes les graces en partage ; pendant qu’ils devaient penser que les recherches qu’ils apportent à leur personne, ne servent qu’à mettre leurs défauts dans un plus grand jour. Celui qui cherche à paraître plus grand ou meilleur

qu’il n’est, excite la curiosité sur ses prétentions ; et cet examen produit presque toujours le mépris, parce que l’orgueil est un signe infaillible de foiblesse, ou de quelque travers dans l’esprit ou dans le cœur. S’exalter soi-même, c’est insulter son voisin,