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Page:Richepin - Les Morts bizarres, 1876.djvu/32

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LES MORTS BIZARRES

venger son mari, et nous tenir toujours sur nos gardes.

Il est vrai que chaque nuit un d’entre nous veillait, et que les premiers jours on liait tous les soirs la uhlane par une corde assez longue, au gros banc de vieux chêne qui était scellé dans le mur. Mais peu à peu, comme malgré sa haine sourde elle n’avait jamais essayé de fuir, on se relâcha de cette excessive prudence. On la laissa coucher ailleurs que sur le banc, et sans liens. Qu’y avait-il à craindre ? Elle était au fond de la salle, un homme veillait à la porte, et entre elle et cette sentinelle étaient couchés la femme du capitaine et les deux autres hommes. Elle était seule contre quatre, et sans armes. Il n’y avait pas de danger.

Une nuit, nous dormions, le capitaine était de garde, la uhlane s’était tranquillement blottie dans son coin, plus calme même qu’à l’ordinaire ; elle avait souri ce soir-là pour la première fois depuis sa captivité.

Tout à coup, au milieu de la nuit, nous sommes brusquement réveillés par un cri épouvantable. On se lève, à tâtons, et à peine a-t-on le temps de se lever, qu’on se heurte à un couple furieux qui roulait par terre, dans la salle, en se débattant. C’était le capitaine et la uhlane.

Nous nous jetons sur eux, nous les séparons en un moment. La uhlane hurlait et ricanait ; le capitaine avait l’air de râler. Tout cela dans l’ombre. Deux d’entre nous la contiennent. On allume, on regarde.