Page:Richet - Traité de métapsychique.djvu/801

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ébauchant de nuageuses affirmations, alors qu’elles eussent pu être plus explicites, remuant des assiettes, des tables, des bûches, alors qu’il leur eût été possible — au moins d’après les données de notre habituelle intelligence — de nous fournir des preuves plus intéressantes, d’opérer dans un laboratoire de physique, et surtout de nous renseigner sur les mystères de leur vie continuée après la mort du corps. Mais ils restent dans la fumée d’une théosophie verbeuse ; ne nous disent jamais rien d’utile ; ne nous indiquent même pas, avec quelque précision, les conditions favorables à l’expérimentation.

Que ces esprits soient les consciences des êtres humains défunts c’est à la rigueur possible, mais j’oserai dire, avec toutes les prudences qu’impose une négation quelconque, ce n’est guère probable. L’âme de ces désincarnés est trop fondamentalement différente de l’âme des défunts, pour que ce puisse être la même. Et quant à la matière, comment, après trois ans de séjour dans un cercueil, un cadavre désagrégé pourrait-il plus facilement retrouver les vieux vêtements qu’il portait de son vivant, que reconstituer son cœur, son foie, et sa cornée, qui sont devenus une bouillie informe.

Si donc — ce que d’ailleurs je ne puis croire — il y a des esprits doués de pouvoirs mystérieux (que je ne comprends nullement) et d’intentions mystérieuses (que je ne comprends pas davantage), en tout cas ces esprits ne sont pas les consciences des défunts. Ils appartiennent à d’autres mondes, différents de notre monde matériel aussi bien que de notre monde moral, et, s’ils revêtent des apparences humaines, c’est afin de pouvoir se faire comprendre fragmentairement à nous[1].

  1. Afin de rendre dans une certaine mesure acceptable cette hypothèse qui paraît monstrueuse, imaginons que l’homme n’en sait pas beaucoup plus sur l’univers qu’une république de fourmis n’en sait de la planète-terre qu’elles habitent. Elles ne savent pas qu’il y a des êtres qui leur sont bien supérieurs comme force et comme intelligence ; elles ignorent qu’il y a des mers, des vaisseaux, des bibliothèques, des téléphones, des théâtres, des armées, des tribunaux et des étoiles. Elles vivent comme si tout se limitait dans l’univers à quelques brindilles de bois, des mousses, de vieux troncs d’arbre, des pucerons qui les nourrissent, et des ruisselets d’eau qui inondent leur fourmilière. Si une fourmi plus sagace que les autres leur vient dire qu’il y a d’autres mondes que ceux-là, cette fourmi, malgré sa sagacité, sera sans doute taxée de folie, et on n’aura pas de peine, dans la république formicienne, à prouver son incohérence intellectuelle.

    Et alors, étant convaincu, que, tout compte fait, nous sommes, dans le