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Page:Rilke - Histoires du Bon Dieu.pdf/63

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qui non seulement écoute par son silence, mais encore par ses paroles rares et douces, par ses sentiments tendres et respectueux.

Je n’aime rien autant que de raconter à mon ami Ewald. Et je fus tout joyeux lorsqu’il m’appela de sa fenêtre quotidienne :

— J’ai quelque chose à vous demander.

Vite j’entrai chez lui et le saluai.

— D’où provient cette histoire que vous m’avez racontée dernièrement ? demanda-t-il enfin. Est-elle tirée d’un livre ?

— Hélas, oui, répondis-je. Les savants l’y ont ensevelie depuis qu’elle est morte ; il n’y a pas très longtemps de cela. Voici cent ans elle vivait encore, insoucieuse, sur beaucoup de lèvres. Mais les mots dont les hommes se servent à présent, ces mots lourds, difficiles à chanter, lui étaient hostiles, et lui enlevèrent une bouche après l’autre, jusqu’à ce qu’elle ne vécût plus que retirée, et pauvrement, sur quelques lèvres sèches, comme sur un douaire. Et elle périt là, sans descendance, et fut, comme on dit, enterrée avec tous les honneurs dans un livre où reposaient déjà d’autres histoires de la même origine.