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Page:Rilke - Histoires du Bon Dieu.pdf/74

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racontaient déjà que Jegor était un chanteur au moins aussi savant que son père ; car il connaissait un grand nombre de chants héroïques et graves, et tous les airs que nul, qu’il fût cosaque ou paysan, ne pouvait entendre sans pleurer. Et, au surplus, il avait un ton doux et triste tel qu’on ne l’avait trouvé dans la voix d’aucun chanteur avant lui. Et ce ton se retrouvait toujours de nouveau dans le refrain, ce qui le rendait particulièrement émouvant. Ainsi du moins ai-je entendu dire.

— Il n’avait donc pas appris ce ton de son père ? dit mon ami Ewald après quelques instants.

— Non, répondis-je, on ne sait pas d’où il provenait.

J’avais déjà quitté la fenêtre lorsque le paralytique fit encore un mouvement et me cria de loin :

— Il a peut-être pensé à sa femme et à son enfant. D’ailleurs il n’a pas dû les faire venir, puisque son père était mort.

— Non, je ne crois pas. Car, en effet, il est mort seul.