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Page:Rilke - Histoires du Bon Dieu.pdf/79

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— Oui, dit Ewald avec un sourire étranger. Je ne peux même pas aller à la rencontre de la Mort. Beaucoup d’hommes la trouvent en cours de route. Elle appréhende d’entrer dans les maisons et vous appelle dehors, à l’étranger, à la guerre, sur une haute tour, sur un pont qui se balance, dans une brousse, ou dans la folie. La plupart des hommes vont tout au moins la chercher quelque part, et la rapportent sur leur dos, sans qu’ils s’en doutent. Car la Mort est paresseuse ; si les vivants ne la dérangeaient toujours de nouveau, qui sait ? peut-être s’endormirait-elle.

Le malade réfléchit un moment, puis reprit avec un certain orgueil :

— Mais chez moi elle devra venir si elle me veut. Ici dans ma petite chambre claire, où les fleurs se tiennent si longtemps, par-dessus ce vieux tapis, en passant devant cette armoire, entre la table et le bois du lit (ce n’est pas du tout si facile), jusqu’à mon large et cher et vieux fauteuil, qui alors mourra probablement avec moi parce que lui aussi a en quelque sorte vécu avec moi. Et elle devra faire tout cela, de la manière