Aller au contenu

Page:Rilke - Histoires du Bon Dieu.pdf/83

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

avec vos histoires précédentes. Et s’il en était ainsi, je préférerais ne pas entendre votre conte. Car j’aime l’image que je me suis faite des choses de là-bas, et je voudrais la laisser intacte.

Je dus sourire et le rassurai :

— Les panes polonais (c’est vrai que j’aurais dû commencer par là) étaient les maîtres dans la Russie du Sud et dans ces steppes silencieuses et désertes que l’on appelle l’Ukraine. Ils étaient des maîtres durs. Leur oppression et l’avarice des juifs, qui détenaient même la clef des églises et ne la restituaient aux chrétiens que contre argent sonnant, avaient lassé et rendu songeur le jeune peuple autour de Kiew, et en amont du Dniepr. La ville elle-même, Kiew la Sainte, l’endroit où la Russie s’était pour la première fois racontée par ses quatre cents coupoles d’églises, s’enfonçait toujours plus en elle-même, et se dévorait en incendies, comme en de soudaines pensées démentes, derrière lesquels la nuit se fait toujours plus illimitée. Le peuple, dans la steppe, ne savait pas trop ce qui lui arrivait. Pris d’une étrange inquiétude, des vieillards