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Page:Rilke - La Chanson d'amour et de mort.pdf/12

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Une fois, au matin, un cavalier est là, et puis un second, quatre, dix. Tout de fer, grands. Puis mille, derrière : l’armée.

Il faut se séparer.

— Heureux retour, monsieur le marquis.

— La Vierge vous protège, monsieur le junker.

Et ils ne peuvent se détacher. Ils sont des amis tout à coup, des frères. Ont besoin l’un à l’autre de se confier davantage ; car ils savent tellement déjà l’un de l’autre ! Ils s’attardent. Et il y a de la hâte autour d’eux et des chevaux piétinent. Alors le marquis dépouille son énorme gant droit. Il tire de sa cachette la petite rose, lui prend une feuille. Comme l’on brise une hostie.

— Ceci vous préservera. Adieu. — Celui de Languenau s’étonne. Longtemps il suit le Français des yeux. Puis il glisse la feuille étrangère sous sa tunique. Et elle monte et descend sur les vagues de son cœur. Clairon. Il chevauche vers l’armée, le junker. Il sourit tristement : une femme étrangère le protège.