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20 RELIQUES


mal s’accrochant aux bras maternels, trébuchant sur les pavés tout en ravalant leurs sanglots ? (1)

Le cœur de la fillette est meurtri. Elle ne songe qu’à son frère, elle rapporte tout à lui. C’est lui qui est la France, c’est lui qui est la Patrie, c’est lui qui est en danger. Quoi d’étonnant à ce que la nuit soit sinistre : Arthur est parti ! Le murmure de la foule gronde ou gémit : Arthur s’en est allé, Arthur est tout seul on ne sait où ! Et quand un chant clame vers le ciel la grande détresse humaine, priant à la rescousse les forces de tous ceux qui l’entendent, c’est pour Arthur que les voix supplient, c’est sa perte qu’elles pleurent, c’est à son aide qu’elles appellent. Ecoutons-la d’ailleurs parler elle-même :

... Tout à coup, au-dessus de toutes les rumeurs s’éleva un chant mâle et solennel, vibrant appel aux armes pour la patrie. Je n’ai jamais su quels artistes avaient, cette nuit là, entonné ces accents sublimes. Je n’avais et n’ai depuis entendu rien d’aussi beau, d’aussi émouvant. Mais moi, petite, grain de poussière dans la foule, je n’appliquai pas ce chant à la France en danger. La moitié


(1) Voir Paterne Berrichon, Jean-Arthur Rimbaud, le Poète, pages 65 et 66.