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LE POIDS DU JOUR

Hier ! il ne pouvait savoir le plaisir nostalgique que l’on éprouve à parcourir les allées de ce jardin endormi, lui pour qui le passé était aussi fluide que le rêve de la nuit écoulée.

On lui avait aussi révélé un présent médiat qu’il ne soupçonnait point ; et, à l’école, tant de choses inutiles. La géographie, qui eût été intéressante, peut-être, limitée aux seules images. Mais les noms ! les chiffres ! Russie, quatre-vingt millions d’habitants, superficie un million de milles carrés, capitale Saint-Pétersbourg… Le lac Supérieur a une forme oblongue, orientée de l’ouest à l’et… Mont Everest, 29.000 pieds d’altitude…

Et la grammaire, et l’histoire sainte, et les mathématiques ! Sans les examens, quelle importance cela pouvait-il avoir ?

Les heures de classe se passaient à guetter l’heure de la sortie, comme les mois scolaires à espérer le moment triomphal de l’entrée en vacances. Combien, heureusement, étaient longs les mois, les jours, les heures même ; surtout celles de l’été. Sept jours dans une semaine, trente jours en un mois, douze mois dans une année. Il semblait que cela n’eût plus de fin. Les heures d’ennui, cloué au banc d’école à écouter le frère marmonner les leçons avec, comme refrain, des menaces de châtiments. Combien vite oublié tout cela dans l’ébaudissement des jeux et, pour Michel, le charme des heures où il cherchait à exprimer sur son harmonica les idées sonores qui montaient en lui et que son souffle transformait en chansons.

Parmi tout cela, Hélène continuait de sourire. Pourquoi eût-elle contrarié son fils ? Pourquoi de la main eût-elle appuyé sur sa nuque pour la courber devant la réalité ? Ne suffisait-il pas d’attendre et de laisser les jours effacer les jours ? Elle, les prenait comme ils venaient, satisfaite de vivre les heures faciles, se défendant contre les heures difficiles en recroquevillant son âme légère. C’est ainsi qu’elle se feutrait contre les heurts de la vie. Son sourire doux semblait une barrière que le malheur ne pouvait franchir pour aller jeter sa semence de tristesse. Si la vie conjugale avec Ludovic n’était point ce qu’instinctivement elle avait espéré, elle se contentait de tourner le dos à ce nuage ; il disparaissait aussitôt à ses yeux. Elle se regardait dans la petite glace qui lui renvoyait une image amicale et jolie. Elle avait trente ans ; elle avait en outre une richesse : son sourire ; une parure : ses cheveux, qui ne vieillissaient point l’un ni les autres.

Michel était lié à sa mère par le lien du contact journalier. Il se sentait baigner dans sa fraîcheur insouciante qui faisait tout, autour d’elle, agréable et velouté… Elle dégageait une espèce de tiédeur amollissante comme le vent d’avril. Michel l’aimait de sourire toujours et de gronder rarement. Inconsciemment aussi, il l’aimait d’aviver de son goût serein le cadre, autrement mesquin, dans lequel ils vivaient. La maison sans