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MANUEL DE LA PAROLE

Tout son poil était vierge, et belle, vagabonde,
Une L’œil haut, la croupe en mouvement,
Sur ses jarrets dressée, elle effrayait le monde
Une Du bruit de son hennissement.
Tu parus, et sitôt que tu vis son allure,
Une Ses reins si souples et dispos,
Centaure impétueux, tu pris sa chevelure,
Une Tu montas botté sur son dos.
Alors, comme elle aimait les rumeurs de la guerre,
Une La poudre et les tambours battants,
Pour champ de course, alors, tu lui donnas la terre,
Une Et des combats pour passe-temps.
Alors, plus de repos, plus de nuit, plus de somme ;
Une Toujours l’air, toujours le travail.
Toujours comme du sable écraser des corps d’homme,
Une Toujours du sang jusqu’au poitrail.
Quinze ans, son dur sabot, dans sa course rapide,
Une Broya les générations ;
Quinze ans, elle passa, fumante, à toute bride,
Une Sur le ventre des nations.
Enfin, lasse d’aller sans finir sa carrière,
Une D’aller sans user son chemin,
De pétrir l’univers, et comme une poussière
Une De soulever le genre humain,
Les jarrets épuisés, haletante et sans force,
Une Prête à fléchir à chaque pas,
Elle demanda grâce à son cavalier corse ;
Une Mais, bourreau, tu n’écoutas pas.
Tu la pressas plus fort de ta cuisse nerveuse
Une Pour étouffer ses cris ardents ;
Tu retournas le mors dans sa bouche baveuse ;
Une De fureur tu brisas ses dents.
Elle se releva. Mais, un jour de bataille,
Une Ne pouvant plus mordre ses freins,
Mourante, elle tomba sur un lit de mitraille
Une Et du coup te cassa les reins.

A. Barbier.