Page:Rivarol - De l'universalité de la langue française.djvu/13

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Quand les Romains conquirent les Gaules, leur ſéjour & leurs loix y donnerent d’abord la prééminence à la Langue Latine ; & quand les Francs leur ſuccéderent, la Religion Chrétienne, qui jettoit ſes fondemens dans ceux de la Monarchie, confirma cette prééminence. On parla Latin à la cour[1], dans les Cloîtres, dans les Tribunaux et dans les Ecoles ; mais les jargons que parloit le Peuple corrompirent peu à peu cette Latinité & en furent corrompus à leur tour. De ce mêlange, naquit cette multitude de patois qui vivent encore dans nos Provinces. L’un d’eux devoit être un jour la Langue Françaiſe.

Il ſeroit difficile d’aſſigner le moment où ces différens dialectes ſe dégagerent du Celte, du Latin et de l’Allemand : on voit ſeulement qu’ils ont dû ſe diſputer la souveraineté, dans un Royaume que le ſyſtême féodal avoit diviſé en tant de petits Royaumes. Pour hâter notre marche, il ſuffira de dire que la France, naturellement partagée par la Loire, eut deux patois, auxquels on peut rapporter tous les autres, le Picard & le Provençal. Des Princes s’exercerent dans l’un & l’autre, & c’eſt auſſi dans l’un & l’autre que furent d’abord écrits les Romans de

  1. Lorsqu’un Prédicateur, pour être entendu des Peuples, avoit prêché en Langue vulgaire, il ſe hâtoit de tranſcrire ſon Sermon en Latin. Ce ſont ces eſpèces de traductions, faites par les Auteurs mêmes, qui nous ſont reſtées. Un tel uſage prolongeoit bien l’enfance des Langues modernes.
    Il faut obſerver ici que non-ſeulement les Gaulois quitterent l’ancien Celte pour la Langue Romaine, mais qu’ils vouloient auſſi s’appeller Romains, & ſe plaiſoient à nommer leur pays Gaule romaine ou Romanie. Les Francs, leurs vainqueurs, eurent le même foible, tant le nom Romain en impoſoit encore à ces Barbares ! Nos premiers Rois ſe qualifioient de Patrices Romains, comme chacun ſait. La Langue nationale, qu’on appella Romain ou Roman ruſtique, ſe combina donc du patois Celte des anciens Gaulois, du tudeſque des Francs & du Latin ; elle fit enſuite quelques alliances avec le Grec, l’Arabe & le Lombard. Au tems de François I la Langue étoit encore appellée Romance. Guillaume de Nangis prétend que c’eſt pour la commodité des bonnes gens qu’il a translaté ſon histoire de Latin en Roman. Ce nom eſt reſté à tous les ouvrages faits ſur le modele des vieilles hiſtoires d’amour & de Chevalerie. On l’écrivoit Romans, de Romanus, comme nous écrivons temps de tempus.