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Le Vingtième Siècle.

des nuages, comme disent poétiquement les aéronautes ; pays charmant, qui est à tout le monde, qui ne coûte pas 5,000 francs le mètre et où l’on n’est pas gêné par les questions de voirie, d’alignement ou de mitoyenneté ; pays admirable et sain, supérieurement ventilé, incessamment balayé par les courants atmosphériques, qui entraînent au loin toutes les impuretés dont souffrent les poumons des simples terriens des villes.

Tout en haut, dans ce pays des nuages, à cent cinquante mètres au-dessus du jardin suspendu, se balance un gigantesque aérostat captif, composé de globes gonflés de gaz, attachés à une sorte de grand champignon, selon un système nouveau qui donne à tout l’ensemble une stabilité presque complète, en neutralisant, par des tuyaux et des tubes à vannes, les courants de l’atmosphère.

Ce gigantesque assemblage de globes captifs supporte, au lieu de nacelle, un grand édifice de forme allongée, construit légèrement mais solidement, sur quatre étages terminés par une terrasse, avec rotonde au centre et pavillons plus élevés aux deux extrémités. L’édifice contient un cercle, une salle de roulette, un café-restaurant, une salle de concerts et quelques appartements.

Chaque soir, une illumination électrique fait de Nuage-Palace une sorte d’astre dont le rayonnement fantastique s’aperçoit à dix lieues à la ronde, et attire magnétiquement, pour ainsi dire, tout ce que Paris renferme de viveurs, d’oisifs, d’étrangers en quête de distractions.

L’affaire rapporte de beaux bénéfices. Les heureux spéculateurs ne s’en tiennent pas là et comptent profiter de l’expérience faite pour lancer aux pays des nuages de nouveaux palais captifs, non plus lieux de plaisir, mais simplement aérostats de rapport, divisés en appartements.

L’aérocab des demoiselles Ponto fit lentement le tour de l’hôtel international, pour permettre à son joli chargement d’admirer les splendeurs architecturales, les coupoles orientales, les galeries, les minarets, les kiosques chinois, les fantaisistes découpures japonaises et les sévères lignes droites du style australien. Puis l’aérocab s’éleva jusqu’au Nuage-Palace, que les jeunes filles voulurent visiter intérieurement.

« Si nous déjeunions ici ? dit Barbe, en abordant sur la terrasse du restaurant ; je vais prévenir papa par téléphone, pour qu’il ne nous attende pas.

— Quelle admirable vue ! s’écria Hélène ; si j’étais suffisamment pourvue de rentes, je louerais un appartement ici et je passerais ma vie sur cette terrasse.