Page:Rocheblave - Pages choisies des grands ecrivains - George Sand.djvu/23

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âge. Ainsi croissait cette jeune plante, mi-sauvage et mi-civilisée, riche d’une sève encore cachée, aspirant largement l’air et la lumière par toutes ses feuilles, et plongeant profondément par toutes ses racines dans le fertile et paresseux terrain du Berry.

Ce développement fut tout à coup traversé d’épreuves, qui le tournèrent dans un sens imprévu. La jalousie de ses deux mères n’avait pas désarmé. Entre la grande dame, pupille de la Dauphine, et la fille de l’oiselier, c’étaient à chaque instant des éclats, des violences. Partagée entre deux tendresses de force à peu près égale, l’enfant ne pouvait que souffrir et pleurer. La tyrannie d’une femme de chambre acariâtre, hypocrite, acheva d’en faire une victime. Une révélation presque odieuse que sa grand’mère crut devoir lui faire sur sa mère pour l’en détacher, la déchira douloureusement en la révoltant. Dès lors, sans que son affection diminuât pour personne, elle vécut concentrée, sombre, dans une sorte d’obéissance rebelle. De là date la formation de ce qu’elle appelle son caractère de combat. De là le germe premier de cette haine de l’oppresseur, de cette pitié de l’opprimé, et en général de cette farouche ardeur d’indépendance qui devait déborder dans ses premiers écrits. D’autres secousses morales, comme la vue de certaines détresses publiques, transperçaient son cœur de jeune fille d’une intime douleur. Parmi ces « brigands de la Loire » qui traversaient le Berry affamés, épaves de régiments glorieux, elle trouvait un jour les débris du régiment de son père, et