Page:Rocheblave - Pages choisies des grands ecrivains - George Sand.djvu/26

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tous saisis et sentis avec une rare faculté d’intuition, élargirent son horizon en tous sens. Les moralistes à forme éloquentes agirent surtout sur elles. Cependant elle n’avait pas encore trouvé son maître. Rousseau vint, qui « l’entama ». Jean-Jacques « fut le point d’arrêt de mes travaux d’esprit ». Quant à Voltaire, elle ne le lut qu’à l’âge de trente ans, suivant la promesse faite à sa grand’mère. Elle le goûta beaucoup, nous dit-elle, mais n’en fut point modifiée en quoique ce soit. Rousseau reste donc son initiateur intellectuel. Désormais, si l’idéalisme est la loi de son cœur, un libéralisme passionné, presque fougueux, est le principe actif de toutes ses idées En politique, en religion, en morale, elle représentera l’esprit de liberté : élargir et affranchir sera partout sa devise. Un mot la complétera, qui résume la femme tout entière : aimer.

Toute cette élaboration latente était alors un secret pour son entourage, sinon pour elle-même : Elle ne vit clair que plus tard dans ces songeries sans fin que berçaient les longues chevauchées de sa dix-huitième année. Le moment eût été propice pour un mariage heureux, où le cœur se fût engagé ; il était désastreux pour un mariage banal, qui devint presque aussitôt douloureux pour la jeune femme. M. Dudevant, fils d’un colonel de l’Empire, était de sa personne un jeune homme assez élégant, et plutôt agréable ; mais il se révéla détestable mari. Il ne sut point deviner, sous la timidité rêveuse de sa femme, ce qui se cachait de richesses intellectuelles ; et quand il le soupçonna, ce fut pour s’en offenser. Dès lors les humiliations, les propos mépri-