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LES FANTÔMES BLANCS

— Maintenant, il faut te coucher, mignonne, dit-il ; moi-même je suis très fatigué. Dors bien, petite Odette, et à bientôt. Il mit un baiser sur le front de l’enfant, rassénérée, et après un coup d’œil significatif à Marguerite, il sortit de la chambre.

— J’ai oublié de lui parler de notre Georges mystérieux, dit Odette à sa sœur qui l’aidait à se mettre au lit.

— Nous lui en parlerons demain, dit Marguerite en détournant la tête pour cacher les larmes que ce mensonge faisait monter de son cœur à ses yeux. Dors, et que Dieu nous garde tous. Odette ferma les yeux, et quelques instants plus tard, elle dormait.

Marguerite se hâta d’aller rejoindre son frère qu’elle trouva dans la cuisine en grande conférence avec Nanette, bien heureuse de revoir son jeune maître.

— Je t’ai bien compris, dit Marguerite en entrant, tu repars ce soir ?

— Oui, le capitaine Levaillant m’attend chez Mme Bernier ; c’est par elle que tu auras de mes nouvelles pendant mon absence. Maintenant, adieu, nous allons profiter des ténèbres pour sortir de la ville, j’espère trouver Georges à Montréal.

— Quel est ce monsieur ?

— Mon meilleur ami de collège, celui dont je vous ai parlé tant de fois ; j’étais si heureux de penser que vous aviez en lui un protecteur. Qui aurait cru à tant de scélératesse de la part d’une femme ? Quant à Laverdie, tu peux être tranquille, il y a quelqu’un qui le suit de près. Adieu encore, il faut que le jour nous trouve loin de Québec. Il serra Marguerite dans ses bras, embrassa la vieille Nanette, et s’enfuit.

La jeune fille remonta dans sa chambre. Odette dormait toujours. Un sourire heureux errait sur ses lèvres. Elle souriait à son rêve, et Marguerite se demandait avec anxiété ce qu’elle allait lui dire le lendemain pour expliquer le départ précipité de Paul.

— Mon Dieu ! inspirez-moi, murmura la pauvre enfant en se jetant à genoux au pied du crucifix ; je tremble pour cette enfant si frêle, inspirez-moi, mon Dieu !


CHAPITRE VIII
LA FERME AUX ÉRABLES.


Pendant ce temps, l’armée canadienne, ou plutôt ses débris, s’était réfugiée à Montréal, et le chevalier de Lévis, qui avait pris le commandement de cette poignée de braves, s’occupait de concentrer toutes ses forces pour commencer l’attaque au printemps. Digne successeur de l’héroïque Montcalm, il rêvait d’arracher la Nouvelle-France aux mains de l’oppresseur.

Bob n’avait pas quitté ses amis, mais ceux-ci ayant essayé de gagner sa confiance, il s’était renfermé dans un mutisme absolu.

Georges, voyant que ces questions déplaisaient à l’Indien, cessa de l’interroger ; d’ailleurs, Bob ne faisait pas de longs séjours à Montréal. Marcheur infatigable, insouciant du danger, il servait d’intermédiaire entre les soldats et leurs familles. Aussi, malgré le mystère dont il s’enveloppait, il était devenu le favori de tout le monde, surtout de Philippe qui, avec l’exubérance de sa nature méridionale, s’était attaché à ce silencieux dont l’éducation première perçait, en dépit de sa volonté, sous l’enveloppe de l’enfant des bois.

Un soir que Bob revenait de l’une de ses expéditions, il fut accosté par un individu qui le pria de lui indiquer où se trouvaient les casernes.

L’Indien ne put retenir un mouvement de surprise. Cet homme ne pouvait être que Paul Merville. Philippe lui avait affirmé que ces deux jeunes gens se ressemblait à tel point que l’œil d’une mère pouvait s’y tromper.

— Suivez-moi, dit-il, je vais vous conduire. Et il se mit à marcher d’un pas rapide, mais sans retourner la tête.

Arrivé à la caserne, Bob fit entrer l’inconnu dans une grande salle où plusieurs officiers étaient en train de jouer aux cartes. Un cri de joie poussé par trois voix différentes se fit entendre, et Paul fut pressé dans les bras de Georges, de Philippe et du capitaine Levaillant !

— Enfin, te voilà, dit Georges ; le capitaine nous avait annoncé ton arrivée pour hier, aussi, nous commencions à être inquiets.

— J’étais si fatigué lorsque nous nous sommes quittés, le capitaine et moi, que j’ai dû me reposer dans une ferme ; mais, me voici, prêt à prendre part à vos misères. Hélas ! la ville qui renferme ce que j’ai de plus cher est au pouvoir de l’ennemi.

— Ce n’est qu’une question de mois, dit Philippe avec son insouciance ordinaire. Au printemps, nous aurons du secours, et nous expédierons messieurs les Anglais dans leur île qu’ils ne devraient jamais quitter.

Cette boutade du jeune homme fut accueillie par un éclat de rire général.

— Pour ma part, je leur donnerais de grand cœur une fameuse poussée, dit Levaillant, mais j’ai peur que la partie ne soit perdue. Sans doute, on m’a promis des secours, mais, en réalité, on se soucie de nous comme de l’an quarante. Le moindre sourire de la « vieille déesse » qui règne a la cour tient plus au cœur du roi que toute la Nouvelle-France.

— Vous avez raison, capitaine, dit Georges. « Fais ce que dois, advienne que pourra » : c’est là la devise de tout bon Français. Donc, nous nous battrons jusqu’au dernier, et si nous sommes vaincus, eh bien ! nous dirons, comme François Ier : « Tout est perdu, fors l’honneur ».

En prononçant ces mots, le jeune homme attira ses amis dans un coin de la chambre, et lorsqu’ils furent assis, il demanda à Paul :

— As-tu vu tes sœurs et Mme Merville ?

Mme Merville était absente, mais tu l’as vue, toi. Mme Bernier m’en a dit un mot. Raconte-moi tout.

Georges lui raconta son entretien avec Ellen.

— Quelle cruauté, dit Paul, de persister à faire croire à ces enfants que j’étais disparu lorsque tu lui affirmais le contraire. Comme elles te savent gré de les avoir détromper, et comme elles voudraient te connaître. Marguerite m’en a dit quelques mots avant de partir, j’espère que tu les connaîtras un jour. As-tu ici un messager sûr ?

— Oui, l’Indien qui t’a conduit ici.

— Alors, je vais écrire à Marguerite. Odette ne sait pas que je suis ici ; je suis parti sans