Page:Rodenbach - L’Élite, 1899.djvu/121

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herbes d’oubli, restaurent ce nom qui doit durer.

Qu’est-ce qui lui vaut ce culte ininterrompu des poètes ? C’est que, en la lisant, on se prend à l’aimer comme une mère. Elle attendrit comme si elle était notre mère. C’est notre mère en double, dirait-on. Et comment chercher des défauts à une mère ? Oui ! sa poésie n’est pas précisément l’art que nous goûtions le plus. Pas de dessous, d’infini de rêve, de style subtil et rare. Mais c’est notre mère ; c’est une femme et exquise. Elle, surtout, a fait de la poésie vraiment féminine. Elle a un sexe littéraire. Elle a le cri des entrailles, la couvée silencieuse, les larmes promptes, les soubresauts de la passion, les déchirements, les trouées lumineuses, les jets de sang, comme a dit Barbier, les jets de sang de ses paumes, de ses pieds, de son front couronné d’épines, de son flanc percé, de toutes les blessures divines de cette Crucifiée de l’art.

Quelle existence fut plus cahotée, instable, douloureuse, assombrie sans cesse par les mécomptes, la mort, la pauvreté ? Comme par un signe de prédestination, elle était née devant un cimetière et joua, enfant, dans l’herbe des tombes. À quinze ans, la ruine. Son père était pein-