Page:Rodenbach - L’Élite, 1899.djvu/122

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tre d’armoiries d’équipages et d’ornements d’églises. Or la Révolution avait éclaté, ne voulant plus ni carosses, ni culte. La mère meurt. Marceline doit aider à vivre le père pauvre et sept enfants plus jeunes. Elle se résout au théâtre. Vers l’année 1804, elle est en représentations à Paris. C’est Grétry qui, l’ayant entendue par hasard, lui fit chanter sa Lisbeth. Elle avait déjà un air si brisé, si triste ! Le musicien l’appelait : « Mon petit roi détrôné. » Dix ans de cette vie-là en province, à l’étranger, jouant à la fois les jeunes premières dans la comédie et les dugazons dans l’opéra. Puis elle cesse de chanter. Elle en donna plus tard à Sainte-Beuve l’adorable raison : Ma voix me faisait pleurer moi-même. »

Qu’était-il arrivé ? Une peine profonde, un amour non payé de retour, un de ces misérables essais de bonheur d’où on sort plus morne et plus seul, et après lequel certaines femmes d’élite jettent pour jamais la clé de leur cœur dans l’éternité. Quel fut cet amour ? Marceline en parla partout, sans cesse dans tous ses vers, et ne l’a nulle part nommé. Quelques-uns, aujourd’hui, ont voulu élucider le mystère, banale curiosité ! L’important pour son œuvre, c’est que jamais elle ne se consola. Grand chagrin d’amour qui devait, jusqu’au bout, se lamenter au travers de sa vie, blessure d’eau ruisselant