Page:Rodenbach - L’Élite, 1899.djvu/170

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Gagné à notre tour par la dévotion ambiante pour celui déjà entré dans la légende et qui fut d’ici le chanteur et le barde, nous avons été, comme en pèlerinage, partout où sa vie naguère a marché et rêvé. Ça été quelque chose d’un peu triste, mais d’une tristesse bonne et qu’on alimente — comme de rentrer dans la maison d’un mort aimé, après l’enterrement, de toucher aux choses familières à ses doigts, de se mirer dans les miroirs où son visage erre encore, de s’illusionner d’un mensonge de vie à voir pendre aux patères ses habits vidés de gestes !

Ainsi nous avons revu les bruyères et les landes, les mélancoliques remparts de Lorient, au long desquels il allait jadis avec sa mère, les vives et chuchoteuses rivières de l’Ellé et du Létha ; surtout nous avons revu la paroisse d’Arzanno, tout en haut de la route ascendante qui part de Quimperlé — oh ! le sauvage et lointain village qui abrita l’adolescence de Brizeux et son adorable idylle avec Marie. L’ancien presbytère où habitait le vieux curé qui fut son maître est aujourd’hui une ferme, mais les bâtiments subsistent à peu près intacts : une façade de pierre percée de fenêtres inégales ; ici la grande cuisine brunie et fumée aux solives apparentes, où glisse comme un rayon du soleil noir de Rem-