Page:Rodenbach - L’Élite, 1899.djvu/195

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Mistral à son tour, parla à sa race dans la langue que les plus simples — c’est-à-dire les plus intacts — entendaient. Ainsi il la toucha, l’enivra du vin de ses propres treilles, la reconduisit jusqu’à ses origines, et dans tous les chemins de son histoire. La Provence, qui s’était perdue, se retrouva. N’est-ce pas la langue qui constitue la nationalité ? Le provençal renaissait et la Provence aussi. La « petite patrie » s’affirma dans la grande. Persistance de l’esprit régional ! Âme de la province ! Charme indélébile du lieu natal ! Mœurs et paysages devenus des livres !

Ce fut vraiment la décentralisation littéraire, dans ce qu’elle peut avoir de plus décisif. Faut-il s’en plaindre, puisque la décentralisation est le secret des renaissantes originalités. Les écrivains nés à Paris voient moins de l’Univers que les autres. Ils n’en voient que ce qu’on voit du ciel entre les hautes façades. Et alors ils font leurs livres, souvent, moins d’après la vie que d’après leur bibliothèque. Au contraire, il faut écrire d’après une race dont on est l’aboutissement. C’est le moyen pour que les livres soient originaux ; et ils le seront d’autant plus que la race est demeurée elle-même plus impolluée, personnelle, abritée contre l’influence de la centralisation et du cosmopolitisme.

Heureux les écrivains qui ont une province dans le cœur !