Page:Rodenbach - L’Élite, 1899.djvu/201

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Saint-Pierre, que Napoléon 1er  lui demanda un jour : « Quand écrirez-vous un nouveau livre comme Paul et Virginie ? »

M. Pierre Loti l’a écrit, ce livre — en passant par Chateaubriand, dont l’Atala appartient au même art.

Mais, chez ceux-là, on sent toujours l’Européen dans une nature exotique ; au lieu que M. Pierre Loti suggère véritablement ; nous croyons être en Annam, à Stamboul ; il s’efface ; il en arrive à se faire oublier lui-même, à se perdre, à se fondre dans cette foule bariolée dont il porte le costume et dont il fait partie.

L’exotisme de Bernardin de Saint-Pierre et de Chateaubriand est donc superficiel ; il rapporte tout au plus une terminologie et de vagues décors. Tandis que celui de M. Pierre Loti est intégral, inoculé, imprégné, ne bénéficiant plus seulement de ce que l’intelligence a pu percevoir et décalquer. Ici apparaissent les acquêts de la littérature moderne, plutôt de sensations que d’idées, qui s’aide merveilleusement des sens, qui emmagasine dans l’ouïe, dans l’odorat, le goût, le toucher et la vue.

Car la littérature moderne a réalisé ceci : l’éducation artistique des sens.

Ce n’est plus surtout le cerveau notant des aspects généraux, des divergences de races ou de paysages. L’enquête, devenue charnelle et