Page:Rodenbach - L’Élite, 1899.djvu/28

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Voyage, le Voyage surtout qui a si merveilleusement inspiré Baudelaire, servi par ses souvenirs personnels d’embarquement juvénile vers les Indes. En effet, il avait navigué très jeune, vers dix-huit ans, embarqué sur un vaisseau faisant voile pour Calcutta, afin, pensait sa famille, que ses idées fussent modifiées et sa vocation littéraire contrariée. Or ce voyage lui donna des impressions qui devaient constituer une des caractéristiques de son œuvre. On peut dire qu’il aura exprimé de façon définitive la poésie des ports, la navigation, les vents du large, les voilures, ce qu’il appelle les architectures fines et compliquées des mâts et des navires. C’est encore dans ces pays d’Orient qu’il prit le goût des parfums, dont ses strophes sont pleines, et se fit une éducation esthétique de l’odorat, à un moment où la littérature n’avait guère encore connu que l’esthétique de la vue.

Cette ivresse du Voyage est brève comme les autres ; elle déçoit à son tour :

                        …Nous avons vu des astres
Et des flots ? nous avons vu des sables aussi ;
Et, malgré bien des chocs et d’imprévus désastres,
Nous nous sommes souvent ennuyés comme ici !

Alors, quoi ? N’y a-t-il aucun moyen de se sauver du Spleen dans l’Idéal, de réaliser dès ici-bas l’infini pressenti ? Si ! il y a vraiment