Page:Rodenbach - L’Élite, 1899.djvu/292

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extraordinaire sculpteur, les affres du désir ! C’est l’immortelle douleur du couple de la Genèse, uni, séparé, et qui se cherche, se perd, se retrouve, se réunit, se hait entre des baisers ayant le goût des larmes. Les voilà, les amants innombrables : torses, croupes, seins et lèvres mêlés — et si voraces l’un de l’autre ! Cent scènes inventées par le sculpteur où la sensualité terrible, crie, étreint, jouit, en des contorsions qu’on dirait plutôt celles du désespoir ou de l’agonie. Ici surtout s’atteste la prodigieuse observation de l’artiste qui a l’air d’inventer des gestes inédits, des attitudes variées et sans fin, mais en réalité, aurait pu les voir et ne fit qu’en deviner la quotidienne réalité. La mimique de la volupté est infinie. Et elle est toujours belle puisqu’elle est conforme à la Nature. M. Rodin en fixa quelques aspects, assez pour rompre avec les poncifs sentimentaux en cette matière et apprendre aux sculpteurs futurs qu’il y avait là à trouver des figures sans fin, rien qu’en suivant docilement l’exemple humain.

Ici, un couple heureux sur un monstre marin, absorbé dans son bonheur, insoucieux du péril et de la mort qui est toujours de l’autre côté de l’amour ; là, une figure qui est une femme aux gestes crispés, à l’épine dorsale comme un arc détendu, prostrée par quelque brusque adieu ; là encore, une vieille, le ventre bossué, qui