Page:Rodenbach - L’Élite, 1899.djvu/54

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furent des écrivains impressionnistes, avant même qu’il y eût des peintres impressionnistes.

Et cette sensibilité de la vue ne leur atténuait point celle de l’ouïe. La peinture de la phrase, chez eux, n’empêchait point le sens de sa musique. « La soirée frissonnante du friselis des feuilles », n’est-ce point une subtile allitération, comme celles où se complurent de récents poètes, préoccupés d’instrumentation, et que les Goncourt réalisaient bien auparavant avec le goût infaillible et l’instinct des grands écrivains ?

Que de combats avec la phrase et le mot pour ces accomplissements magnifiques ! Ah ! ils les ont connues, ces affres dont gémissait le grand Flaubert ! Et, de cette lutte, Jules de Goncourt tomba énervé, brisé à trente-neuf ans, tué, mort à la peine du style, comme l’a écrit le survivant.

Mais que de joies aussi ! Ils les ont racontées, ces solitaires ivresses, « ce double et trouble transport cérébral », cette joie nerveuse de l’œuvre en train qui leur coupait l’appétit comme un chagrin et leur donnait, sur les pavés, l’impression de marcher sur un tapis. Admirables et émouvants aveux ! Qui aima plus la littérature ? Ce fut vraiment pour eux un amour. L’enivrement d’écrire, pour les artistes de race, est comme l’enivrement d’aimer.

Ô bonheur d’une telle passion pour les Lettres