Page:Rodenbach - L’Élite, 1899.djvu/72

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tifique de la vie, en mêlant les théories de Darwin aux inventions de l’imagination, voilà pour la beauté littéraire de l’œuvre des Rosny. Celle-ci a aussi une beauté philosophique. Elle ne conclut pas nécessairement à une philosophie fataliste. Et nous allons voir comment il en sort une morale ingénieuse et admirable.

Dans ces romans de la vie collective, une part est laissée à l’énergie individuelle, toute réduite, il est vrai, circonscrite, en proie à des lois mystérieuses, à des instincts, à la maladie, à la duplicité, aux pièges de l’ignorance.

N’importe, c’est précisément parce que nous ne sommes plus en lutte seulement avec nos semblables ou avec nous-mêmes, comme en d’autres romans, contrariés uniquement dans nos amours, notre ambition, nos appétits, mais livrés à des forces autrement redoutables, aveugles, implacables, — c’est pour cela que les Rosny s’émeuvent d’une telle pitié miséricordieuse dont le halo accompagne tous leurs personnages… Avec quel apitoiement ils disent : « Le pauvre être humain ! » Comme ils le montrent disputant au sort quelques minutes d’ivresse, assis au bord de sa courte joie à l’eau vite tarie où son image chavire…

De là cette bonté qui est partout en leurs livres et y bat comme un cœur caché. Bonté qui va être bientôt contagieuse.