Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/112

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— J’en doute, fit Borluut. Mais, en attendant, vous aurez abîmé la ville, détruit, pour vos installations vaines, ce qui reste de vieux quartiers, de précieuses façades. Ah ! si Bruges comprenait sa vocation !

Borluut esquissa alors cette vocation, telle qu’il la concevait. Mais est-ce que la ville elle-même ne la comprend pas ? Les eaux mortes ont bien renoncé ; les tours allongent assez d’ombre ; les habitants sont suffisamment taciturnes et casaniers.

Il n’y avait qu’à continuer dans ce sens, restaurer les palais et les demeures, isoler les clochers, parer les églises, compliquer la mysticité, agrandir les musées.

— Voilà la vérité, intervint Bartholomeus, qui sortait toujours de sa froideur en brusques élans. On aurait dit, chaque fois, un jet d’eau d’hiver qui dégèle et soudain vibre, jaillit en long essor.

— Oui ! Borluut a raison, dit-il. L’art est dans l’air, ici. Il règne sur les vieilles maisons. Il faut le multiplier, recréer les Chambres de Rhétorique, accumuler les spectacles, les ommegancks, les tableaux. Ainsi nos Primitifs flamands, par exemple, c’est ici seulement qu’il faudrait les voir. On ne les comprend bien qu’à Bruges. Imaginez la ville rassemblant son or et son effort pour arriver à acquérir tous les Van Eycks et les Memlings qui sont dans le pays. Voilà un emploi de fonds, Farazyn, si vous en recueillez. Ce sera autrement beau que de creuser un