Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/166

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pour rafraîchir sa fièvre à leur eau froide, y délayer sa peine.

Godelieve l’épiait. Un moment après, comme il s’était retourné, elle vit qu’il avait les yeux pleins de larmes. Douleur de voir pleurer un homme ! Alors, miséricordieuse, plus que sœur, devenue maternelle par la pitié, elle s’approcha de lui, prit ses mains en silence, ne trouvant pas une parole, n’osant pas toucher à cette blessure intime et profonde où le baume du regard devait suffire.

Joris dit, pour expliquer la cruelle scène, excuser :

— Elle est malade.

— Oui, fit Godelieve ; mais vous êtes malheureux ?

— Très malheureux…

Joris pleura. Un sanglot, qu’il ne put retenir, éclata, comme si tout son cœur s’en allait, remontait, voulait venir mourir dans sa bouche… Gémissement de bête et d’enfant qui n’en peut plus, cri qui cesse d’être humain et qui hurle à la mort !

Godelieve sentit se ranimer en elle les vieux souvenirs, tout ce qu’elle croyait tué et mis au tombeau dans son cœur. La poussière oubliée tressaillit, et, songeant à ce qui aurait pu être, elle chuchota :

— Si Dieu avait voulu !

Et, de voir pleurer Joris, elle pleura aussi.

Muettes consolations ! C’est dans le silence que les âmes enfin s’atteignent l’une l’autre, s’écoutent, se parlent. Elles se disent ce que les lèvres jamais ne disent. C’est déjà pour elles comme si elles étaient