Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/188

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Au contraire, puisque Barbe semblait malade, il fallait la soulager, la guérir. Il manda un médecin après l’avoir au préalable renseigné. Le cas était clair : anémie et névrose, déclin d’un sang vieux, mal du siècle, qui sévit jusqu’en ces villes reculées. Chez Barbe, il était héréditaire. Comment y remédier ? Plus tard, par l’âge, il s’améliore. En attendant, il s’atténue par quelque cure d’eau, l’air de la montagne qui tonifie et pacifie. Justement Barbe était liée avec des cousines qui habitaient une station thermale, petite ville d’Allemagne, où elle les visita naguère. Il ne lui déplut pas d’y retourner. Mais elle entendit s’en aller seule, sans personne, rompre ainsi un moment avec son existence, couper les liens qui l’attachaient aux siens, perdre tout souvenir de son intérieur, où elle venait de passer des jours si noirs, entrer dans le voyage comme dans une autre vie. N’était-ce pas une des formes de son état maladif que cette irritation contre ses proches, et contre eux de préférence ? Elle ne voulut point d’eux et partit seule, quelques jours après. En vain, Joris avait offert de l’accompagner, et Godelieve surtout, de son côté, avec une insistance qui s’ingénie, louvoie, trouve des raisons spécieuses, promet de se faire menue, câline et si peu encombrante !

C’est que Godelieve craignait, s’épouvantait, de rester seule avec Joris. Barbe, en partant, laisserait entrer le danger. Tant qu’elle fut présente dans la maison, Godelieve se sentait sauvegardée, dans une