Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/214

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déçue. Rien qu’un concert aigu et strident, qui n’apparaissait si doux, dans les rues de la ville, qu’à cause de la distance. C’est le recul qui fait la nostalgie. Les cloches, au-dessus, s’égosillèrent, maîtrise de village, chantres solfiant au hasard.

Pourtant Joris faisait de son mieux, s’exaltait en l’honneur de Godelieve. Les basses intervinrent, dans les vieux lieds flamands qu’il jouait ; mieux que les soprani des clochettes, qui ne s’angélisent que dans l’éloignement, les grandes cloches chantèrent en nobles mélopées, en bruissements d’orgue et de forêt, qui entraînèrent Godelieve. Elle se donna à ce vaste chant que Joris créait pour elle, et qui était comme le ruissellement de lui-même.

Toute la tour chanta l’amour !

Quelques rares passants sur les places, quelques habitants oisifs dans leurs demeures, firent seuls attention à cette musique rajeunie, à ces fleurs de sons qui tombaient comme plus fraîches sur les toits et dans les rues. Quel printemps imprévu fleurissait là-haut ? Qu’est-ce qu’elles avaient, les vieilles cloches, pour chanter plus vite et comme si une rougeur de fièvre fardait leur bronze noir ?

Quand Joris eut fini, il entraîna Godelieve vers le petit escalier qui conduit à la plate-forme supérieure, quelques marches encore à gravir… Ils montèrent plus haut… Godelieve vit alors les dortoirs des cloches, toutes les cloches alignées, avec leurs inscriptions, leurs dates, leurs armoiries coulées dans