Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/228

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rogatoire de sa destinée : il avait tant désiré des enfants, naguère, au commencement de son mariage avec Barbe, quand il la menait au Musée devant le tableau de sa Patronne par Memling, lui montrait les donateurs, agenouillés parmi leur famille nombreuse, toute en têtes inégales, pressées comme des ex-voto. Il avait rêvé des fils surtout, qui le continueraient en Flandre, selon l’arbre séculaire de son nom. Mais son foyer demeura vide, sans issue sur l’avenir. Il expérimentait maintenant que si, au lieu de Barbe, il avait épousé Godelieve, il aurait conquis vraiment tout le bonheur, c’est-à-dire, outre l’amour dans la douceur, la joie d’une postérité et l’orgueil de se survivre.

Godelieve envisagea l’hypothèse comme la mort. D’abord elle n’irait pas jusqu’au bout. La douleur, la honte, l’épouvante, la tueraient. Elle se rappela le menaçant présage, l’avertissement qu’aurait dû lui être la dalle tumulaire où Joris et elle se rencontrèrent, le soir, dans l’église de Saint-Sauveur, le soir où elle devint sa femme… Ils n’avaient pas pris garde que leurs chaises reposaient sur des effigies funéraires, que leurs pieds effaçaient davantage des noms déjà usés par le pas des siècles. C’est seulement quand les gants de Godelieve furent tombés à terre que, pour les ramasser, leurs mains, parées de la bague nouvelle, leurs mains aveugles et empressées de s’élancer à leur malheur, touchèrent la pierre tumulaire, touchèrent véritablement la mort.