Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/261

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la brume sortie d’eux-mêmes, le brouillard de leur cerveau sans pensée.

Est-ce là le peuple que Borluut attendait, voulait combattre, rêvait de convaincre et de vaincre ? Au lieu de lutter contre la Foule, il se battrait contre des fantômes dont Farazyn seul — son ennemi, dont il sentait déjà les yeux et l’ironie, braqués sur lui — réglerait l’attaque et le cérémonial.

C’est donc pour un tel assaut qu’il avait combiné son discours, un discours moins technique que lyrique, écrit au point de vue d’un auditoire impressionnable qu’il faut émouvoir pour l’entraîner. Au milieu d’une pareille atmosphère, son discours s’annulerait comme le soleil dans le brouillard. Comment n’avait-il pas prévu qu’il ne pouvait manquer d’en être ainsi ? Encore une fois, il reconnut trop tard qu’il avait été si peu clairvoyant. Il aurait voulu partir maintenant, renoncer. Il n’osa pas, à cause de Farazyn qui, sur l’estrade, regardait de son côté, le défiait.

La séance fut ouverte. Le président prononça une allocution, puis Farazyn lut un long rapport. En passant, il dénonça les mauvais citoyens qui se mettaient en travers d’une œuvre de prospérité et d’intérêt publics ; puis multiplia les documents, les explications, les plans, les chiffres, d’où il résultait que les crédits seraient votés bientôt et qu’ainsi, dans un avenir très proche, on pourrait commencer les travaux et réaliser cette grande œuvre de Bruges-Port-de-Mer.