Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/273

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mande lui avait été faite sans condition, qu’il la tenait pour indissoluble et exigible.

Le pire, c’est que le payement n’avait pas été effectué encore. Borluut, indigné, dénonça dans un journal toute l’odieuse et ignare machination. Il menaça l’administration d’un procès de l’artiste où il ne pouvait manquer d’obtenir gain de cause. Quant à Bartholomeus, il s’inquiétait surtout du sort de ses peintures. Volontiers il en eût abandonné le prix. Mais il tenait essentiellement à ce qu’elles demeurassent dans la salle gothique de l’Hôtel de Ville, liées à la destinée du monument illustre, incorporées à lui, pour ainsi dire, comme les images à un cerveau. N’était-ce pas le rêve même de Bruges qu’il avait peint, et ce rêve ne devait-il pas, dès lors, s’éterniser dans la Maison Commune ?

Il songeait surtout à la gloire, à l’avenir. Est-ce qu’on viendrait aussi voir son œuvre dans les siècles prochains, comme on va, à l’Hôpital, en traversant des corridors blancs et des jardins de buis, contempler les Memlings ? Ah ! cet orgueil de durer, de vaincre la mort et le néant, d’être le pain et le vin d’art, de faire communier de soi toute l’Élite future ! Ainsi l’ambitionnait Bartholomeus, prêtre d’un Art-Religion.

Borluut publia un jour, dans ce temps-là, un portrait émouvant de son ami, si désintéressé et si noble, et qui devrait être l’honneur et la parure, le trône et le sceptre, le phare vivant de la ville.