Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/304

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Heureusement que le brouillard d’arrière-saison tombait à présent sur toutes ces amours finies. Borluut s’enfonça dans un double isolement. À la prison de pierre s’ajouta la prison de brume.

Il ne fut plus captif que de l’horizon.

Tout s’unifiait en une abdication de soi, une fusion molle et résignée. Les troupeaux de moutons, fréquents dans la campagne, ne parurent qu’un peu plus de vapeur agglomérée sur un point et qui va se dissoudre. Même le soleil s’anémia, prit la couleur de l’étain, disparut dans des tulles diaphanes. La ville aussi, enveloppée d’une buée, recula, s’amincit, se décolora, cessa d’être. Elle se résuma en quelques fumées, montées des toits invisibles, et qui renoncèrent dans la brume, affluents dociles.

Borluut participa de l’unanime effacement. Les brouillards d’automne et les fumées l’envahirent aussi, tandis qu’il en épiait, du haut du beffroi, les jeux silencieux. Tout s’estompa, s’embruma, s’abolit en lui.

À peine, dans les plaines pâles, des moulins émergeaient, croix noires, ayant l’air d’exorciser la brume qui s’en écartait, reculait, avait peur. Borluut souvent fit voyager ses yeux de moulin en moulin, compta ces croix. Elles lui rappelaient les croix de la procession des pénitents. N’étaient-ce pas les mêmes, dispersées ? Elles jonchaient tout le pays, conduisaient jusqu’à Furnes, qu’on devinait, là-bas,